Alors que plusieurs personnes ont été écartées de postes de premier plan, comme le général Toufik ou le procureur général de la Cour d’Alger, la configuration du pouvoir réel en Algérie est de plus en plus difficile à analyser. Interview croisée.
Grand ménage ou simple effet d’optique ? Depuis quelques semaines, les coups de balai se succèdent au sein du pouvoir algérien comme le limogeage du général Mohamed Médiène, alias Toufik, chef du département du Renseignement et de la Sécurité (DRS) mi-septembre, ou encore du procureur général de la Cour d’Alger Belkacem Zeghmati, lundi 21 septembre. Comment interpréter ces évènements ? Le rapport de force entre l’armée et le pouvoir exécutif a-t-il changé en Algérie ? Faut-il y voir un tour de vis en vue de préparer la succession du président Abdelaziz Bouteflika ? France 24 a interrogé deux politologues dont l’analyse est diamétralement opposée. D’une part, Rachid Tlemçani, enseignant-chercheur en Sciences politiques à l’Université d’Alger, professeur visiteur à l’université de Harvard ou encore Georgetown. D’autre part, Lahouari Addi, sociologue et enseignant-chercheur à l’Institut d’Études politiques de Lyon. Ces deux entretiens mettent en lumière la difficulté à comprendre les rouages du système politique algérien.
Rachid Tlemçani : Les récents limogeages du général Médiène, chef du DRS, ainsi que quelques autres responsables de cette puissante institution – un État dans l’État – s’inscrivent dans la longue lutte que le président Bouteflika a entamée au lendemain son intronisation pour "civiliser" l’armée. Depuis quelques années, il s’est focalisé sur le DRS qui est devenu très puissant, au fil de la crise sécuritaire [durant la lutte contre le terrorisme dans les années 1990, NDLR]. Avec le quatrième mandat, le conflit entre la présidence et le DRS est devenu ouvert. Dans le cadre de cette reconfiguration, Bouteflika a opéré une restructuration des appareils de la sécurité militaire en rattachant des services au ministère de la Défense, c’est à dire sous son autorité.
Lahouari Addi : Nous avons des informations officielles sur la réorganisation des services de sécurité militaire, qui a commencé il y a deux ans. Elle a une logique. Elle a culminé avec le limogeage du général Toufik Médiène. Le DRS est un service qui dépend de manière organique de l’état-major au même titre qu’une vingtaine de services : l’aviation, la marine, l’infanterie… Durant la décennie 1990, avec la lutte anti-terroriste, le DRS a pris plus d’importance au sein de l’état-major, au point de concurrencer cette institution ainsi que la présidence.
Le tournant est l’attaque d’In Amenas . Le DRS a mis en danger le régime, sa crédibilité. L’armée lui a reproché trois choses. D’abord, d’avoir failli à sécuriser les sites stratégiques comme les bases pétrolières. Ensuite, toutes les grandes affaires de corruption en Algérie sont couvertes par des officiers supérieurs du DRS. Le troisième point – et c’est le plus important –, c’est que le DRS était trop visible dans le champ politique. Ce service dépendant de l’armée, n’importe qui pouvait voir que c’est elle qui détenait le pouvoir réel. Or, dans la culture politique des officiers algériens, cela doit rester secret.
Il ne s’agit donc pas de verrouiller le système pour assurer la succession d’Abdelaziz Bouteflika ? Le nom de son frère Saïd est sur toutes les lèvres…
Rachid Tlemçani : La succession de Bouteflika s’inscrit dans cette lutte. Il a essayé d’imposer son jeune frère Saïd mais il n’a pas réussi pour deux raisons. Avec le Printemps arabe, une telle action aurait mis le feu aux poudres et n’était pas dans l’intérêt des groupes de pression. La seconde raison est que les groupes politiques sous la houlette de Toufik se sont opposés à cette forme de succession. Aujourd’hui, il [Saïd Bouteflika] peut très bien succéder à son frère. Une formule institutionnelle pourrait facilement être fabriquée pour légitimer ce choix.