Béligh Nabli est directeur de recherche à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), au sein duquel il a fondé l’« Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe ».
Il enseigne également les relations internationales à l’Institut d’études politiques de Paris.
Il répond à mes questions à l’occasion de son dernier ouvrage « Géopolitique de la Méditerranée », paru aux éditions Armand Colin.
La Méditerranée a-t-elle une identité mosaïque ?
Posée à l’espace méditerranéen, la question identitaire convoque des représentations contradictoires : l’une invoque le rapprochement, le métissage, le brassage des différences ; l’autre, la séparation et la fragmentation de blocs antagonistes. Cette dernière vision l’emporte aujourd’hui, entretenue par la force et le succès du discours sur le « choc des civilisations » dont la Méditerranée serait le théâtre. Cela étant, l’histoire et la géographie ont favorisé le mélange des populations, l’échange des idées et des croyances ainsi que la diffusion des modes de vie des sociétés établies sur le pourtour méditerranéen. Croisements, métissages et phénomène d’hybridation des cultures sont à l’origine d’une « identité commune mosaïque ».
Vous évoquez une profonde graduation entre des modèles extrêmes ?
Historiquement, les peuples du monde méditerranéen ont expérimenté divers modèles d’organisations sociales et politiques. Si l’État offre aujourd’hui un cadre commun à ces sociétés qui n’ont pas rompu avec certaines structures traditionnelles infra et/ou transnationales (tribus, clans familiaux, etc.), la question du pouvoir politique n’est pas traitée de manière unique ni même homogène. Le principe démocratique est né dans la Grèce antique, mais ne s’est pas diffusé à l’ensemble du bassin méditerranéen. L’exercice du pouvoir en Méditerranée reflète le vaste champ des possibles offerts par les sciences politique et constitutionnelle.
Partant, et sans prétendre établir de typologie, il est possible de distinguer des situations politiques qui recoupent plus ou moins les aires géopolitiques de la Méditerranée : les pays de la rive européenne constitutifs de l’« arc latin » (Italie, France, Espagne et Portugal) se caractérisent par un ordre politique et juridique qui tente d’allier démocratie et État de droit. L’application de ce modèle politique libéral nourrit un sentiment de supériorité morale de la rive nord-européenne sur le reste du pourtour méditerranéen. Un phénomène similaire est palpable dans le discours officiel israélien, reposant notamment sur le slogan suivant lequel il s’agirait de la « seule démocratie de la région » du Moyen-Orient. Une prétention discutable car Israël – comme le Liban et la Turquie – relève d’un modèle politique hybride ou « semi-démocratique ». Pour des raisons différentes, cette remarque s’applique aux pays issus de l’ex-Yougoslavie (Slovénie, Croatie, Bosnie-Herzégovine, Serbie-Monténégro) ou du bloc communiste (Albanie). En effet, malgré la démocratisation dans les Balkans, le nationalisme, le populisme et la corruption exacerbés font encore obstacle au respect de l’Etat de droit.