[Christopher Dummitt], un historien canadien, expert en gender studies (études de genre), avoue avoir falsifié les conclusions de ses recherches, au service de sa propre idéologie politique.
Si on m’avait dit, voici vingt ans, que la victoire de mon camp allait être aussi décisive dans la bataille idéologique sur le sexe et le genre, j’aurais sauté de joie. À l’époque, je passais de nombreuses soirées à débattre du genre et de l’identité avec d’autres étudiants – voire avec n’importe qui avait la malchance de se trouver en ma compagnie. Je ne cessais de le répéter : « Le sexe n’existe pas. » Je le savais, un point c’est tout. Parce que j’étais historien du genre.
Dans les facs d’histoire nord-américaines des années 1990, c’était d’ailleurs le nec plus ultra. L’histoire du genre – et, plus généralement, les études de genre dans le reste du monde académique – constituait un ensemble de sous-disciplines à base identitaire alors en pleine phase ascendante dans les campus d’arts libéraux. Selon les enquêtes sur les domaines de spécialisation menées en 2007 et 2015 par l’Association des historiens américains, les plus gros effectifs se comptaient dans l’histoire des femmes et du genre, suivis de près par l’histoire sociale, l’histoire culturelle et l’histoire raciale et sexuelle. Autant de domaines partageant avec moi une même vision du monde : que pratiquement toutes les identités ne sont qu’une construction sociale et que l’identité n’est qu’une question de pouvoir.
À l’époque, pas mal de gens n’étaient pas de mon avis. Toute personne – c’est-à-dire pratiquement tout le monde – n’ayant pas été exposée à ces théories à l’université avait bien du mal à croire que le sexe n’était globalement qu’une construction sociale, tant cela allait à l’encontre du sens commun. Mais, aujourd’hui, ma grande idée est partout. Dans les débats sur les droits des transgenres et la politique à adopter concernant les athlètes trans dans le sport. Dans des lois menaçant de sanctions quiconque laisserait entendre que le sexe pourrait être une réalité biologique. Pour de nombreux militants, un tel propos équivaut à un discours de haine. Si vous défendez aujourd’hui la position de la plupart de mes opposants d’alors – que le genre est au moins partiellement fondé sur le sexe et qu’il n’y a fondamentalement que deux sexes (le mâle et la femelle), comme les biologistes le savent depuis l’aube de leur science –, les superprogressistes vont vous accuser de nier l’identité des personnes trans, et donc de vouloir causer un dommage ontologique à un autre être humain. À cet égard, dans son ampleur et sa rapidité, le revirement culturel est stupéfiant.
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Petit problème : j’avais tort. Ou, pour être un peu plus précis : j’avais partiellement raison. Et pour le reste, j’ai globalement tout inventé de A à Z. […] Raison pour laquelle je défendais ma position avec autant de ferveur, de colère et d’assurance. Cela me permettait de camoufler qu’à un niveau très élémentaire j’étais incapable de prouver une bonne partie de mes propos. Intellectuellement, ce n’était pas jojo.
Ma méthodologie se déroulait en trois étapes. Tout d’abord, j’aurais tenu à souligner qu’en tant qu’historien je savais l’existence d’une grande variabilité culturelle et historique. Que le genre n’avait pas toujours et en tout lieu été défini de la même manière. […]
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Deuxièmement, j’aurais avancé à quiconque me parlant de masculin ou de féminin que ces notions ne relevaient pas uniquement du genre. Qu’il y avait toujours, simultanément, une question de pouvoir. Le pouvoir était, et demeure, une sorte de formule magique dans le milieu universitaire, surtout pour un étudiant découvrant Michel Foucault. […] Dès lors, si quelqu’un niait que le sexe et le genre étaient variables, s’il laissait entendre qu’il y avait quelque chose d’intemporel ou de biologique dans le sexe et le genre, alors, il cherchait en réalité à justifier le pouvoir. Et donc à légitimer des oppressions. […]
Et troisièmement, j’aurais cherché une explication dans le contexte historique montrant, à un moment historique précis, pourquoi on pouvait parler de masculin ou de féminin dans le passé. L’histoire a cela de merveilleux qu’elle est immense. Il y a toujours quelque chose à trouver. […]
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Reste que la plus grande question – la plus importante – est la dernière : Pourquoi ? […] Mes réponses, je ne les ai pas trouvées dans mes recherches primaires. Je les ai tirées de mes convictions idéologiques, même si, à l’époque, je ne les aurais pas qualifiées ainsi. Sauf que c’est bien ce qu’elles étaient : un ensemble de croyances préconçues et intégrées a priori dans la pénombre académique que sont les études de genre.
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[…] Je partais du principe que le genre était une construction sociale et je brodais toute mon « argumentation » sur cette base.
Je ne me suis jamais confronté – du moins pas sérieusement – à une autre opinion que celle-ci. Et personne, à aucun moment de mes études supérieures ou du processus de publication de mes articles de recherche, n’allait me demander de faire preuve d’un tel esprit d’ouverture. En réalité, les seules critiques que j’ai reçues me demandaient de renforcer davantage le paradigme, ou de me battre pour d’autres identités ou contre d’autres formes d’oppression. […]
[…] Les attentes genrées sont-elles réellement si différentes et variables dans le temps et l’espace ? Impossible d’y répondre avec les petites anecdotes que j’adorais citer. Cette question doit être étudiée de manière systématique et comparative. Dans ma propre lecture, je dois admettre que ce que je voyais tenait davantage d’une légère variabilité avec une cohérence centrale manifeste. Que les hommes soient vus comme les principaux pourvoyeurs de ressources, preneurs de risque et responsables de la protection et de la guerre semble une notion assez stable à travers l’histoire et les cultures. Oui, il y a des variations en fonction de l’âge et de certaines particularités culturelles et historiques. Mais sans partir du principe que ces petites différences ont une grande importance, les données disponibles ne vous permettent pas d’arriver à cette conclusion.
Et la question du pouvoir alors, est-elle réellement omniprésente ? Peut-être. Et peut-être pas. Pour prouver que c’était le cas, je ne faisais que citer d’autres chercheurs qui en étaient persuadés. Et encore mieux s’ils étaient philosophes avec un nom français. Je me suis aussi beaucoup appuyé sur les travaux d’une sociologue australienne, R. W. Connell. Selon elle, la masculinité est avant tout une question de pouvoir – et permet d’affirmer la domination des hommes sur les femmes. Sauf que ses travaux ne permettent pas de le prouver. Tout ce qu’elle fait, comme je le faisais, c’est d’extrapoler à partir de petites études de cas. J’ai donc cité Connell. Et d’autres m’ont cité. Voici comment l’on « prouve » que le genre est une construction sociale et une question de pouvoir. Comment on peut prouver n’importe quoi et son contraire.
Mon raisonnement bancal et d’autres travaux universitaires exploitant une même pensée défectueuse sont aujourd’hui repris par des militants et des gouvernements pour imposer un nouveau code de conduite moral. Lorsque je prenais des verres avec d’autres étudiants et que nous bataillions tous pour la suprématie de nos ego, cela ne portait pas trop à conséquence. Mais les enjeux sont aujourd’hui tout autres. […]
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