Alors que les embarcations de migrants ne cessent de traverser la Méditerranée, Frontex, l’agence européenne de surveillance aux frontières, est confrontée à une fuite de documents compromettants. Publiée par le site américain The Intercept, une série de rapports diligentés par l’agence fait état de plusieurs incidents graves, au cours desquels des gardes-côtes ont tiré sur des migrants entre mai 2014 et décembre 2015, lors de l’opération Poséidon menée par l’agence européenne dans les eaux territoriales grecques.
L’opération Poséidon poursuivait alors un but précis : soutenir la garde côtière grecque pour intercepter les embarcations de migrants en provenance de Turquie et arrêter les passeurs qui se trouvent à bord. La mission est à haut risque. Le passeur peut être armé ou ne pas vouloir arrêter la course du bateau, mettant en péril la vie des personnes à bord. Il peut aussi laisser les commandes à un migrant et s’enfuir. Ou il peut tout simplement s’agir d’un pêcheur qui ramène l’embarcation à la terre ferme.
Une difficile réalité qui pourrait justifier que les rapports de Frontex, partiellement censurés par l’agence européenne, décomptent les morts et, quand l’usage des armes à feu est avéré, concluent à la légitime défense. Problème : des témoignages de réfugiés blessés par balle, relatés par The Intercept, viennent contredire ces rapports.
Des témoignages accablants
Ainsi, en novembre 2015, alors qu’une embarcation refuse de s’arrêter entre la Turquie et l’île de Chios, à l’est de la mer Égée, des gardes-côtes grecs, engagés dans l’opération Poséidon, ouvrent le feu sur le bateau, blessant trois réfugiés. Seize impacts de balles sont retrouvés sur la coque du bateau, selon le site américain. Pourtant, dans sa déclaration, l’homme qui a fait feu prétend avoir appliqué la loi en vigueur et affirme que le passeur avait tiré sur les agents de Frontex. Aucune preuve ne vient appuyer son témoignage. Les quatre migrants interrogés sur l’affaire nient la présence d’une arme à bord. La justice grecque, saisie de l’affaire, a abandonné les charges contre le garde-côte, estimant qu’il n’avait pas commis d’erreur. Plus tard, ce dernier a avoué avoir vidé plus d’un chargeur de son fusil automatique. Après avoir mené l’enquête, l’agence nationale des gardes-côtes grecs conclura que le passeur n’a jamais tiré sur les autorités. Mais quelques semaines après, l’affaire est enterrée et les officiers blanchis.
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Les règles internationales imposent, elles, le principe de « non-refoulement », qui interdit à la Grèce de renvoyer les réfugiés chez eux ou vers un pays où ils seraient persécutés. Et Athènes est signataire de la Convention de Genève, qui stipule que toute personne a le droit d’être accompagnée pour demander l’asile dans le premier pays qu’elle aborde et ne doit pas être « refoulée » dans le pays d’origine.
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L’affaire tombe mal pour l’agence qui doit faire peau neuve d’ici à l’automne et voir son budget passer de 250 à 330 millions d’euros, le tout sans que la question de sa responsabilité lors de ses opérations ne soit tranchée. D’ailleurs, ce n’est pas la première fois que Frontex suscite la polémique. En 2011, l’ONG Human Rights Watch publiait un rapport accablant sur les méthodes de Frontex intitulé « Les mains sales de l’Europe ». Malgré cela, aucun compromis entre les pays européens n’a jusqu’ici été trouvé pour renforcer la responsabilité de Frontex en cas d’incident, et cela même après deux réformes successives en 2011 et en 2016. Pendant ce temps, Frontex prend de plus en plus de poids dans la lutte contre l’immigration illégale et la traque des passeurs, et cela, en toute impunité...
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