Sur le réseau social Twitter, une empoignade publique sur la laïcité et le féminisme entre deux personnalités manifestement francs-maçonnes est significative des tensions qui parcourent les obédiences humanistes.
Une polémique de plus ? Alors que la nouvelle secrétaire d’État à l’Égalité femme-homme, Marlène Schiappa, avait déjà à son palmarès depuis sa nomination il y a à peine un mois une controverse dans Libération avec Alain Finkielkraut, c’est cette fois sur Twitter qu’elle fait parler d’elle. Invitée à l’Assemblée générale du Centre national d’information sur les Droits des femmes et des familles, le 28 juin dernier, Marlène Schiappa a eu ce tweet : « Nos politiques publiques d’égalité femmes hommes doivent être adaptées à la spécificité de chaque territoire. » Une petite phrase d’apparence anodine, caractéristique du néo-féminisme dont se revendique la secrétaire d’État, et qui lui a valu une volée de bois vert de la part des féministes universalistes.
Or, dans les nombreuses réponses que le tweet de Marlène Schiappa a suscitées, l’une d’elles peut interpeller l’observateur. Elle émane de Françoise Laborde, longtemps journaliste sur France 2, puis membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel, aujourd’hui engagée dans diverses causes – elle parraine l’association Le Refuge, qui accueille de jeunes homosexuels rejetés par leurs familles, et a fait partie des premières personnalités à s’engager publiquement pour les Chrétiens d’Orient. Voici le tweet en question, ainsi que le dialogue qui s’ensuit avec un autre commentateur, appelé Cincinatus :
Le profane ne verra dans ce dialogue un peu abscons qu’une certaine tendance à l’emphase ou à l’humour : qu’il s’agisse du « J’ai dit ! » qui clôt la première réponse de Françoise Laborde, ou des généralités suivantes sur la « force », la « vigueur », la « sagesse », la « beauté », etc. Mais l’initié, lui, interprètera un peu différemment ce dialogue.
Car les mots utilisés dans cette conversation sont des mots rituels du premier degré (apprenti) de la franc-maçonnerie, communs à au moins deux des rites les plus pratiqués en France : le Rite écossais ancien accepté (REAA) et le Rite français (RF). « J’ai dit » est en effet la phrase rituelle par laquelle un franc-maçon conclut une planche, c’est-à-dire un court exposé sur un sujet donné dans le cadre d’une « tenue » (réunion réservée aux maçons). Quand Cincinnatus renchérit en disant : « Il faut continuer le combat de l’universalité avec force et vigueur », il utilise là aussi une formule rituelle commune à plusieurs rites : quand la réunion maçonnique a été interrompue et qu’elle reprend, le Vénérable Maître (le président) dit : « Les travaux reprennent force et vigueur ». Ce à quoi Françoise Laborde réplique : « Surtout pour qui sait épeler ! » Là encore, l’allusion au rituel est transparente : le catéchisme du grade d’apprenti du REAA, par exemple, définit le franc-maçon comme celui qui « ne sait ni lire ni écrire et ne sait qu’épeler ». Ce disant, Françoise Laborde dit clairement qu’elle considère, à tort où à raison, Marlène Schiappa comme l’une de ses sœurs en maçonnerie.