Davantage par dépit que par réelle adhésion, les migrants sont de plus en plus nombreux à décider de faire une demande d’asile en France plutôt qu’à traverser la Manche.
« L’Angleterre c’est bien, mais je suis fatigué ». Sadam, un Soudanais de 24 ans coincé à Calais, a décidé de faire une demande d’asile en France, mais pour lui comme pour les autres migrants, c’est davantage par dépit que par réelle adhésion.
Ils sont nombreux en ce vendredi matin à être postés sur le trottoir faisant face à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Offi) dans le centre de la ville, attendant leur tour pour demander l’asile.
« C’est difficile de passer en Angleterre », raconte d’une voix lasse Sadam, présent depuis trois mois en France, et parti pour rester. « Ici, j’espère apprendre le français », ajoute-t-il sans grande conviction.
Dans la « new jungle », le camp situé plusieurs km à l’est du centre de Calais, et qui compte une bonne partie des 3 000 migrants bloqués à "Calaisis", certains ont la même amertume dans la voix.
Un camp-champignon
Djamal, jeune Afghan à l’enthousiasme aussi entamé que ses dents de devant, ne veut plus entendre parler de l’Angleterre, et a fait sa demande en France.
Ses trois amis et lui, accoudés au comptoir d’une des nombreuses échoppes construites cet été dans le camp-champignon, disent avoir tenté « toutes les nuits, un mois durant », de franchir l’impressionnante série de barrières et de déjouer la vigilance des CRS présents sur le site d’accès au tunnel sous la Manche, de l’autre côté de Calais.
Djamal relève le pantalon de son copain Dawlatzal : une large compresse barre son mollet, mutilé par les barbelés. Un autre montre ses plaies aux deux bras et jambes, au torse... « Et ensuite quand on n’a pas réussi, on doit refaire les deux heures de marche qu’on a fait à l’aller ».
Un peu plus loin, Kalim, 28 ans, qui offre volontiers un thé dans son restaurant informel, assure avoir pris la décision de rester en France dès son arrivée.
Il explique « aimer les Français » et excuse avec philosophie le gouvernement français, qui doit composer avec « des limitations et ne peut pas donner de maison à tout le monde ».
Le facteur déterminant pour lui est cependant tout autre : « Quand j’ai vu qu’il y avait des blessés, des morts au tunnel (de neuf à 12 migrants, selon les sources, sont morts depuis le début de l’été, ndlr)... je ne veux pas prendre de risque », confie-t-il.
Le blog « Passeurs d’hospitalité »
Dans le quartier soudanais, sorti de terre en quelques semaines à peine, Adam, 26 ans, venu du Darfour, vient de récupérer des palettes afin de terminer sa cabane.
Il a eu dès le départ l’objectif de s’installer en France. Mais « quand je suis arrivé à Paris, j’ai vu les gens dans la rue, sans camp organisé, et je suis venu ici à Calais », relate-t-il.
C’est une exception, selon Philippe Wannesson, militant associatif depuis des années et auteur du blog « Passeurs d’hospitalité » : « rester en France, c’est souvent un choix par défaut, parce qu’on est bloqué ».
D’autant moins satisfaisant pour les intéressés que les délais leur semblent bien trop longs : « nous devons attendre six, sept mois, on nous dit qu’on nous donnera un logement mais en attendant, qu’est-ce qu’on peut faire ? », désespère Djamal.
Selon la Direction générale des étrangers en France (DGEF), contactée par l’AFP, à Calais les « délais sont plus réduits que pour le reste du territoire et il y a priorisation pour l’accès à l’hébergement », sans davantage de précisions.
Pas d’effet significatif
Maya Konforti, de l’association L’Auberge des migrants, estime que l’accélération du traitement annoncée par le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve n’a pas eu d’effet significatif.
« Il y a deux mois, on a donné des papiers à 111 Erythréens en 24 heures. Mais c’était une autre annonce coup de poing, ils ont fait ça un samedi puis c’était terminé, et ça a fait des jaloux », raconte celle que les migrants appellent affectueusement « Mama ».
« Le traitement s’est accéléré », tempère Philippe Wannesson. « On met plutôt moins de six mois que plus, contrairement à avant ».
Mais le militant dénonce la tendance à ce que la « new jungle » devienne « un bidonville servant de stockage aux demandeurs d’asile ».