En visite à Tokyo vendredi, les ministres français des Affaires étrangères et de la Défense ont signé des accords avec leurs homologues japonais après des entretiens « deux-plus-deux » sur les questions de sécurité nationale et de diplomatie. Le Japon est le seul pays d’Asie avec lequel la France a mis en place une telle échange diplomatico-militaire.
L’accord permet à Paris et à Tokyo d’intensifier leurs efforts pour développer une coopération militaire et antiterroriste plus large et l’échange de technologies militaires. Le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius a salué l’accord, en disant :
« Cela fixera le cadre de notre collaboration ». Selon Fabius, la France et le Japon vont collaborer pour développer la technologie des armes, entre autres « les systèmes de drones, les hélicoptères ou l’espace. »
Le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a dit que « la France et le Japon [avaient] beaucoup en commun ». Il a proposé une collaboration sur la technologie de déminage, disant :
« Nous sommes les deux des nations maritimes, et nous avons des entreprises de haute technologie dans ce domaine. Ensemble, nous pouvons trouver une solution gagnant-gagnant. »
Le ministre des Affaires étrangères japonais Fumio Kishida a dit :
« Nous avons fait un pas en avant dans notre coopération bilatérale en matière de sécurité et de défense. Le fait que nous nous soyons mis d’accord sur des plans spécifiques de coopération représente une réalisation majeure. »
La France et le Japon se sont également engagés à travailler à la conclusion d’un accord d’acquisition et de maintien mutuels (ACSA), permettant la coopération logistique entre leurs forces armées. Le Japon a déjà signé des ACSA avec les États-Unis, l’Australie et la Grande-Bretagne.
Cet accord militaire intervient après que le Japon et la France ont convenu de collaborer en Afrique, où l’impérialisme français monte des interventions militaires dans ses anciennes colonies, notamment au Mali et en République centrafricaine (RCA). Au cours de leurs premiers pourparlers « deux-plus-deux » à Paris l’an dernier, Tokyo s’était engagé à soutenir les interventions militaires françaises en Afrique, qui visent à saper l’influence croissante de la Chine sur le continent. (Voir : La France et le Japon s’allient contre l’influence chinoise en Afrique)
En concluant une alliance militaire avec le Japon, la France attise les tensions déjà entraînées en Asie par le « pivot vers l’Asie » du gouvernement Obama. En même temps que Washington essaie de consolider une alliance militaro-stratégique avec le Japon, l’Australie, l’Inde et d’autres puissances régionales, visant à isoler la Chine et à se préparer à une guerre avec elle, le Japon et la Chine sont enfermés dans un face-à-face militaire virulent au sujet des îles Senkaku / Diaoyu en mer de Chine orientale.
Le Japon est également en train de mettre fin à sa politique pacifiste d’après-guerre et aux restrictions constitutionnelles sur l’utilisation de la force militaire afin de permettre à Tokyo d’exporter de l’armement, de tisser des liens militaires et de mener ses propres guerres. En juillet dernier, le gouvernement japonais a approuvé l’abrogation de l’interdiction qui empêche l’armée japonaise de se battre à l’étranger depuis 1945. Ceci a été le changement de politique le plus spectaculaire attestant de la résurgence du militarisme japonais.
Le renouveau du militarisme japonais s’accompagne d’efforts accrus de la part de Tokyo pour blanchir les crimes et atrocités commises par l’impérialisme japonais en Asie pendant les années 1930 et 1940. Cela a attiré des protestations et de critiques de plus en plus fortes dans les pays occupés par le Japon, y compris la Chine et la Corée.
L’alignement de la France sur « le pivot vers l’Asie » d’Obama et du Japon indique aussi les différences significatives qui apparaissent entre les puissances européennes, en particulier la France et l’Allemagne. Celle-ci a des liens commerciaux avec la Chine plus importants que les autres pays européens. Les flux commerciaux annuels entre la Chine et l’Allemagne dépassent le commerce avec la Chine de la France, la Grande-Bretagne et l’Italie réunies.
Alors que les autorités françaises ne commentent pas publiquement la décision du Premier ministre japonais Shinzo Abe de blanchir les crimes de l’impérialisme japonais, les autorités allemandes abordent la chose sous un angle différent. Au moment où Berlin met en place son propre programme de réarmement et de légitimation du militarisme, il avertit Tokyo qu’il est préférable de faire pénitence pour ses crimes de guerre passés et de se servir de cela comme couverture pour réaffirmer une politique étrangère militariste.
En visite à Tokyo la semaine dernière, la chancelière allemande Angela Merkel a exhorté le Japon à modifier son attitude vis-à-vis de son passé pendant la guerre. Dans un discours prononcé au siège du journal Asahi Shimbun à Tokyo, Mme Merkel a déclaré que la réintégration de l’Allemagne dans la communauté internationale après 1945 avait été possible parce que le pays avait fait face à son passé.
Suite à une réunion avec le premier ministre japonais Shinzo Abe, Mme Merkel a déclaré que la liquidation de l’histoire de la guerre était « une condition préalable à la réconciliation ». Ce qui a attiré une réplique mordante de Kishida, qui a rejeté le commentaire de Merkel et l’a qualifié d’« inapproprié ».