Même si les plus optimistes y trouveront quelques contentements, l’honnêteté nous commande de reconnaître que les résultats des élections européennes 2019 sont encore – et toujours – affligeants. Enfermés dans une matrice qu’ils semblent critiquer (l’Union européenne), les électeurs finissent encore une fois par l’entériner, même indirectement. En France comme en Europe, les partis fédéralistes ou pro-européens restent majoritaires. Des partis dinosaures perpétuent leur cirque politicien, toussent leurs promesses et continuent à engranger les voix. Consternant.
Reprenons les chiffres et analysons-les sérieusement. Car il nous semble qu’aucun éditorialiste ou commentateur avisé n’ait fait d’examen crédible ni tiré de conclusions correctes de ce qu’il s’est passé ce 26 mai 2019.
Du Rassemblement national
D’abord le Rassemblement national. Fort de sa première place, son résultat est en vérité décevant. Ce n’est pas tant la faute de son meneur, Jordan Bardella, jeune cacique prometteur de 23 ans qui a su faire le job malgré son inexpérience à un poste de ce niveau. Mais celle d’un appareil et d’un parti qui ne sait pas sortir d’un plafond de verre que le système a construit puis consolidé patiemment pendant 40 ans.
Facile à dire, bien sûr. Mais qu’ont apporté les compromissions successives au lobby communautaire ou bien les ratiocinations sur l’Europe et l’euro ? Une ouverture intelligente vers la gauche économique et sociale, qui est pourtant déjà plutôt présente en substance dans le programme, doublée d’un renoncement à la facilité de thèses anti-islam (qui n’est pas l’anti-racaille) et aux amalgames terroristiques, n’aurait-il pas accompagné intelligemment des valeurs conservatrices (en particulier écologistes) ? Mais tout cela nous l’avons déjà dit cent fois dans nos pages.
Le mouvement des Gilets jaunes fournissait aussi une dynamique intéressante dans laquelle il y avait matière à puiser. D’ailleurs, même si les têtes émergeantes du mouvement se sont bien toutes gardées de parler du RN, voire l’ont conspué généreusement, les manifestants eux-mêmes sont clairs : 38% souhaitaient voter pour le parti de Marine Le Pen (et même 44% d’après l’IFOP au 26 mai).
Concernant la relativement faible légitimité des porte-paroles en regard des manifestants, on rappellera qu’Eric Drouet, Maxime Nicolle ou Jérôme Rodriguez n’ont appelé à aucun vote tout en affirmant que « j’emmerde le RN » (Nicolle) ou qu’il est triste de voir « Le FN en tête » (Facebook Rodrigues). Sophie Tissier, elle, se « décidera au dernier moment pour une liste... de gauche » et, comme Ingrid Levavasseur, elle appelle au double-barrage Macron/RN. Thierry Paul Valette a appelé à voter pour la liste LREM (!) avant de finalement se rétracter, Jacline Mouraud comme Priscilla Ludowski se sont rangées du côté du vote blanc et Hervé Giacomoni a choisi l’UPR. Où sont les leaders patriotes qui devraient logiquement mener ces 44% de Gilets jaunes ?
De La République en marche
Le score de La REM, 22,41%, n’est pas un bon score malgré le satisfecit du gouvernement qui inventa pour l’occasion la victoire en 2ème position. Le Premier ministre a certes conservé la victoire modeste en rappelant l’ancrage durable du RN, mais les macronistes ont eu tactiquement raison de se féliciter de leur résultat. D’ailleurs, cela permettra au Président de la République de garder son cap, comme il l’a toujours fait et de continuer à enterrer un mouvement social qu’il a maté dans la rue et discrédité dans les médias. Cette tenaille bâton et communication a progressivement fait son effet, et avoir réussi à maintenir tant bien que mal son score présidentiel (24,01%) conforte l’exécutif dans la continuation de son programme malfaisant.
Or, ce qu’il faut analyser et que se gardera bien de dire le pouvoir en place, c’est que La REM est très probablement très en-dessous de ce score de 22,41% ! En effet, où sont passés les 12% d’électeurs LR et une petite partie des 13% de La France Insoumise ? Nous pensons en réalité que les cartes ont été rebattues et que les électeurs de La REM ont changé partiellement de nature.
De fait, alors que le parti présidentiel avait su capter en 2017 des électeurs qui pensaient y trouver du neuf et du jeune, la déception fut assez grande. Dès lors une partie de cet électorat nouveau et vaporeux qui avait cédé presque impulsivement aux sirènes du marketing politique s’est détourné de La REM en 2019. Mais quel tour de passe-passe a permis pourtant aux macronistes de retrouver le score présidentiel ?
Des Gilets jaunes
Ce qu’ont beaucoup sous-évalué les commentateurs politiques, c’est l’impact des Gilets jaunes. En première lecture, les scores des deux formations GJ sont ridicules et on aurait envie de penser que les électeurs sont revenus à leurs familles politiques respectives. Mais c’est oublier le double effondrement LR / LFI dont nous parlions tout à l’heure ! Ces électeurs fantômes n’ont pas disparu, ils se sont nécessairement déportés.
Et nous pensons que les Gilets jaunes ont été la boussole qui a décidé de la distribution des votes en deux camps : les pro-GJ et les anti-GJ, et plus largement ceux qui voulaient sanctionner le pouvoir et ceux qui voulaient le conforter.
Or le marqueur typique de ce pur parti de synthèse qu’est La REM est sa capacité centripète à aimanter la bourgeoisie. Bourgeoisie de gauche, avec l’effondrement déjà réalisé en 2017 du PS, et bourgeoisie de droite enfin détournée en 2019 avec la captation des possédants droitards qui fustigent ces beaufs en jaune qui empêchent le commerce de tourner, cassent le mobilier urbain et feraient mieux de travailler plutôt que de quémander des aides.
Un autre pourvoyeur d’électeurs, mais à la marge, fut La France Insoumise. Car dans le cadre de la bipolarisation de cette élection européenne (qui sera premier du RN ou de La REM ?), un certain nombre de gauchistes n’ont pas pu se résigner à voir la bête immonde du fascisme prendre le pas et ont préféré un vote utile.
De la France Insoumise
Ainsi les électeurs de la France Insoumise ont fondu comme neige au soleil entre 2017 et 2019. De 19,58% à 6,31% (nous parlons toujours en pourcentage, bien sûr, en raison des taux d’abstention très différents), c’est plus de 13% d’électeurs perdus !
Comme nous le disions plus haut, une petite partie s’est résignée à voter La REM par un obsolète réflexe front-républicaniste. Une autre petite partie, modeste, a préféré, à l’image d’Andréa Kotarac, voter RN, si ce n’est en raison d’un accord même modeste sur le programme, en tout cas pour voir La REM coiffée au poteau.
Cela ne fait toutefois pas 13%. Où sont passés ces électeurs manquants ? Essentiellement chez le parti écologiste EELV ! Celui-ci a récupéré, à la faveur d’un battage médiatique assourdissant sur le climat, une bonne partie des électeurs LFI.
De cela on doit en tirer deux constats : celui, connu, de la puissance de la propagande médiatique qui a sévi depuis des semaines, à coup d’égérie pré-pubère (Greta Thunberg), de manipulations adolescentes et de discours jouant sur les peurs (technique qu’il est d’ailleurs interdit d’utiliser pour les sentiments d’insécurité ou les inquiétudes identitaires...), et un deuxième constat, moins compris, qu’un certain nombre d’électeurs de LFI n’est pas GJ-compatible !
Si l’on revient au graphique plus haut, on constate que 13% des Gilets jaunes pensaient voter LFI, ce qui ne peut pas correspondre à 100% des électeurs LFI ! Dès lors on comprend mieux la dissonance cognitive que l’on ressent lorsqu’on voit l’extrême gauche s’emparer d’un mouvement dont la nature et l’essence lui sont étrangers.
Professeurs, travailleurs du tertiaire ou fonctionnaires, tous ces électeurs mélenchonistes représentent une bourgeoisie de gauche éloignée des difficultés que connaissent les Gilets jaunes. Capables de voter Macron sans sourciller lors d’un deuxième tour face à la bête immonde, ils préfèrent s’offrir un frisson révolutionnaire mais aussi un choix déculpabilisant eu égard à leur situation privilégiée en votant plus à gauche lors d’un premier tour. Dès lors, quelques manipulations climatiques plus tard, beaucoup préférèrent donner un coup de pouce aux écologistes pour une élection qui de toute façon n’engage à rien. Dès le prochain scrutin, EELV retombera comme toujours à 4-5% en raison de son électorat fondamentalement volatile (car l’écologie ne constitue pas un programme en soi).
De l’UPR
Venons-en maintenant au score de l’UPR : 1,17%. Certes en hausse depuis 2014 (0,41%) et même depuis 2017 (0,92%), ce score reste modeste – et encore nous manions l’euphémisme pour ne pas froisser les nombreux électeurs UPR qui nous lisent. Ce score trahit l’invisibilité de ce parti et de son fondateur, pourtant candidat à l’élection présidentielle. Cette invisibilité provient bien sûr essentiellement de son inexistence médiatique. Celle-ci est probablement liée à la fois au programme développé (le Frexit ça ne vend pas) mais aussi au charisme modeste de François Asselineau qui pourtant est un très bon théoricien et même un agréable conférencier.
Mais cela doit aussi nous appeler tous à la modestie : emmitouflés dans un cocon idéologique (même large et transcourant comme l’est E&R), nous oublions vite que les sphères dans lesquelles nous évoluons et qui semblent si populaires, sont bien souvent modestes à l’échelle nationale. Quand l’UPR se félicite de faire 100.000 vues avec l’une de ses vidéos, que n’oublie-t-on pas que la France est constituée de 70 millions d’habitants et de 46 millions d’électeurs !
L’espérance enthousiaste mais réaliste
On l’a vu, ces élections nous rappellent que long est encore le chemin. Qu’il est tentant de baisser encore les bras, de défaites en défaites et sans victoire, lorsqu’on constate que rien ne change. Des cartes rebattues, des noms qui se renouvellent, mais long est le processus révolutionnaire. Le grand soir risque de durer une nuit entière, les bourgeoisies défendent leurs intérêt et sachez qu’elles en ont beaucoup plus les moyens que leurs inféodés.
Macron va pouvoir continuer sa nuisible politique, le Rassemblement national perpétuer un discours patriotique sionisto-compatible qui ne peut rassembler et permettra en retour de servir d’épouvantail lors du second tour de l’élection présidentielle. Les Républicains et la France Insoumise se relèveront de leur défaite mais sans changer leur ADN. Et les petits partis continueront à bruisser leurs programmes plus ou moins sérieux, exotiques ou loufoques.
Le dénouement politique de nombreux siècles de servitudes et d’injustices se trouvera nécessairement dans une troisième voie. Cela a déjà été dit. Reste à la définir. Le travail constituants des Gilets jaunes, les pistes de travail du marxisme originel ou d’un anarchisme bien compris, les lectures fécondes d’un Maurras, d’un Sorel, d’un Bardèche, le dévoilement au grand jour des forces réelles (expliquez-moi le dîner du CRIF, demande Alain Soral), tout cela concourra à façonner le monde de demain.
Mais le désespoir en politique étant une sottise, continuons chacun sans perdre patience, et à notre mesure, le travail de réinformation et de formation politique, pour nous-même et pour notre entourage. Lorsque le fruit sera mûr, il tombera.