Aux Etats-Unis, près de 1,4 million de demandeurs d’emploi ne touchent plus aucune allocation de chômage. Ils ont en effet dépassé la période maximale d’indemnisation, actuellement fixée à 99 semaines.
Expulsée de son appartement du Tennessee après plusieurs mois de loyers impayés, Alexandra Jarrin a entassé autant d’affaires qu’elle le pouvait dans son coupé et a quitté la ville.
A 49 ans, elle s’est retrouvée dans un motel de Brattleboro, dans le Vermont, versant les 260 dollars qui lui restaient depuis qu’elle est arrivée en fin de droits, en mars dernier - de quoi se loger une semaine. "A moins d’un miracle, je dormirai bientôt dans ma voiture", soupire-t-elle.
Mme Jarrin fait partie de ces Américains au chômage qui se font désormais appeler les "99ers", autrement dit qui sont arrivés au bout de la période d’indemnisation maximale de 99 semaines. Cette période avait été récemment rallongée après d’interminables débats au Sénat (il s’agissait de renouveler deux programmes fédéraux et de porter les délais d’indemnisation de 26 semaines à 60 ou 99 semaines, selon le taux de chômage de l’Etat concerné), mais de nombreux chômeurs ont maintenant dépassé le nouveau délai maximum.
En juin, le chômage de longue durée a atteint un niveau record, avec près de 1,4 million d’Américains n’ayant plus de travail depuis 99 semaines ou plus, selon le Bureau des statistiques de l’emploi. Tous ne touchaient pas le chômage, mais, pour un grand nombre d’allocataires, le modeste chèque du gouvernement fédéral était une bouée de secours qui leur permettait au moins de maintenir un vernis de normalité, d’avoir un toit sur la tête, de mettre de l’essence dans leur voiture et de régler les factures d’électricité et de téléphone.
Sans ces prestations, nombreux sont ceux qui, comme Mme Jarrin, licenciée en mars 2008 de son poste de directrice du service clientèle d’une petite entreprise de technologie de la région new-yorkaise, commencent à dégringoler la pente. Les ultimes vestiges de leur ancienne vie ouvrière ou bourgeoise ont disparu ; ils sont désormais inéluctablement condamnés à tomber sous le seuil de pauvreté.
Il ne semble guère y avoir de volonté politique pour aider ces gens. Ces derniers mois, les 99ers ont tenté de s’organiser pour inciter le Congrès à instaurer un niveau supplémentaire d’assurance-chômage. Mais les inquiétudes que suscite le déficit public vertigineux ont étouffé leurs voix. Et l’idée selon laquelle les allocations chômage dissuadent les bénéficiaires de chercher du travail s’est immiscée dans les arguments des républicains. Du coup, la situation des chômeurs en fin de droits a brillé par son absence dans les récents débats du Sénat.
Mme Jarrin, elle, oscille entre détermination et désespoir. Son dernier chèque d’indemnisation remonte à la troisième semaine de mars. Ses deux comptes courants sont maintenant dans le rouge. Sur son portable, elle reçoit en permanence des relances de la société de crédit-bail qui a financé sa voiture. Elle risque de perdre son véhicule d’un jour à l’autre.
C’est une dégringolade pour Mme Jarrin, qui gagnait jusqu’alors 56 000 dollars (44 000 euros) par an, passait ses vacances dans des endroits comme le Mexique et les Caraïbes, et avait entamé en 2008 des études à l’école de commerce d’Iona College. Elle s’était hissée dans la classe moyenne à la force du poignet. En 2003, déjà avancée dans sa vie d’adulte, elle avait décroché un premier diplôme universitaire tout en travaillant à plein-temps. Elle était convaincue que l’éducation serait son passeport pour la prospérité, mais elle juge maintenant avec une certaine amertume ce qu’il lui a rapporté. "Je me suis mise 92 000 dollars [72 000 euros] de dettes sur le dos pour une formation qui ne vaut en réalité rien du tout", constate-t-elle.
L’année dernière, elle s’est installée à Brentwood (Tennessee), non loin de Nashville, pour chercher du travail. Après avoir dans un premier temps essayé de finir son MBA par correspondance, elle a dû abandonner faute de moyens financiers. Elle a postulé à toutes sortes d’emplois, depuis des petits boulots payés au salaire minimum jusqu’à des postes de direction.
Grâce à des coupons d’essence donnés par une Eglise, elle a pu revenir à Brattleboro, petite ville tranquille de Nouvelle-Angleterre où elle a passé le plus clair de sa vie d’adulte. Elle imaginait que le filet de sécurité de l’assurance-maladie y était meilleur, tout comme le marché de l’emploi.
Elle a contacté le centre d’hébergement local, mais il y avait une liste d’attente. Elle n’a pas droit à l’aide sociale car elle n’a pas d’enfant en bas âge, et aucun de ses trois fils, tous adultes n’est en mesure de l’aider. Elle passe donc ses journées dans sa sinistre chambre de motel, à naviguer sur le Net et à répondre à des offres d’emploi.
De nouveaux obstacles se sont alors présentés : que faire, par exemple, lorsqu’il faut donner une adresse pour une candidature en ligne ? Elle redoute déjà ce qui se passera bientôt, quand on lui coupera sa ligne de portable : tous les appels qui pourraient arriver sur le numéro qu’elle a indiqué sur ses CV se perdront dans le néant.
Tout n’est cependant pas si noir, puisqu’elle a été convoquée le 2 août à son premier entretien depuis plus d’un an, pour un poste de coordinatrice dans une association d’aide aux toxicomanes. Et le jeudi précédent, un premier miracle s’est produit : un vieil ami de New York lui a fait parvenir par la poste 300 dollars en liquide. De quoi passer une semaine de plus au purgatoire.