Malgré l’urgence, malgré l’ampleur du désastre, c’est au compte-gouttes que la communauté internationale et le grand public déboursent des fonds pour le Pakistan. Au point que les agences humanitaires des Nations unies comme les organisations non gouvernementales (ONG) redoutent une deuxième vague de décès dus à la lenteur de la mobilisation, après les quelque 1 500 morts causées par les pires inondations que le pays ait connues depuis quatre-vingts ans.
Les 15 millions de Pakistanais privés de toit, d’eau, de vivres et de soins par un début de mousson exceptionnellement violent seraient maintenant victimes d’un "déficit d’image", de la torpeur estivale, d’une faible couverture médiatique et de l’épuisement des donateurs face à la succession des catastrophes, selon les ONG.
"Le Pakistan a mauvaise presse", remarque Felipe Ribero, le directeur général de Médecins sans frontières, qui n’a recueilli que 3 000 euros à ce jour. "Le pays évoque la corruption, la guerre, les talibans. Cela n’aide pas à provoquer l’émotion."
Le Secours populaire a récolté 10 000 euros. La Croix-Rouge a réuni 95 000 euros, loin des 2 millions engrangés dans les deux jours qui ont suivi le séisme du 12 janvier à Haïti. La Fondation de France, qui a géré 30 millions d’euros de dons après le séisme en Haïti et 25 millions lors du tsunami de 2004 en Asie, a reçu en tout et pour tout... 300 euros pour le Pakistan.
"La situation paraît très confuse, les donateurs ne sont pas certains que les ONG seront capables d’intervenir efficacement sur place", analyse Francis Charhon, son directeur.
Les ONG elles-mêmes ont pu tarder à réagir. "Les équipes humanitaires sur place n’ont pas mesuré tout de suite que des inondations locales allaient devenir une catastrophe de grande ampleur", reconnaît Olivier Bernard, le président de Médecins du monde, qui a récolté 16 000 euros en France.
La situation est un peu meilleure en Grande-Bretagne, très liée au Pakistan par l’histoire. Treize des principales ONG britanniques actives au Pakistan ont réussi à lever 18,3 millions d’euros auprès du grand public. "Ces dons ne viennent pas que de la communauté pakistanaise, tout le monde donne", insiste Ian Bray, porte-parole d’Oxfam en Grande-Bretagne.
Reste que pour l’ONG Care International, "le manque de financement ralentit considérablement l’intervention d’urgence". Care a reçu 1,2 million de dollars, mais en espère 10 millions pour venir en aide à 100 000 personnes. "Au début, les gens se sont dit que la mousson était un phénomène habituel dans cette région. Il faut maintenant leur expliquer que l’argent ne va pas aller dans les mains des talibans", estime Melanie Brooks, de Care International à Genève.
La même pédagogie pourrait bien être nécessaire auprès des gouvernements. Une semaine après avoir lancé, le 11 août, un appel de fonds de 460 millions de dollars (358 millions d’euros) pour secourir, pendant trois mois, les six millions de sinistrés les plus vulnérables, les Nations unies ont récolté 32 % seulement de la somme espérée. Si l’on y ajoute les aides bilatérales, les dons versés par la communauté internationale atteignent à ce jour 165 millions d’euros. On est loin du compte.
"Les agences de l’ONU ont un budget qui leur permet d’intervenir sans attendre, mais elles ont besoin de l’appel de fonds pour pouvoir acheter tentes, médicaments, rations alimentaires... Sans cet argent, on ne peut pas avancer", explique Elizabeth Byrs, porte-parole du bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU.
"Le Pakistan souffre d’un déficit d’image, il fait partie des pays peu financés, comme le Yémen", observe Mme Byrs. Mais cela n’explique pas tout : beaucoup de pays cherchent à réduire leurs dépenses humanitaires comme leur aide au développement - et Haïti a asséché les budgets. "La moitié seulement des appels de fonds d’urgence de l’ONU ont été satisfaits en 2010, de nombreuses crises restant non financées", rappelle Mme Byrs.
En tête des donateurs pour le Pakistan, les Etats-Unis ont versé 75 millions de dollars. La Grande-Bretagne a déjà donné 40 millions de dollars. "Un quart de l’aide vient de notre pays. La réponse globale de la communauté internationale a été lamentable, absolument misérable", a critiqué le vice-premier ministre britannique, Nick Clegg, lundi. L’Union européenne n’a pour l’instant versé que 1,2 million d’euros sur les 40 millions promis, et la France 1 million.
Le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, qui s’est rendu au Pakistan le 15 août, devrait prendre la parole à l’ONU jeudi pour exhorter la communauté internationale à se mobiliser davantage. Un réveil d’autant plus nécessaire qu’il faudra des milliards à plus long terme pour rebâtir les villages, reconstruire les infrastructures et reconstituer les récoltes. Lundi, la Banque mondiale a promis au pays une aide de 900 millions de dollars.