Les érudits paraissent inoffensifs. On les imagine préoccupés de questions très obscures, inaccessibles au commun des mortels. On en déduit que leurs travaux ont un impact nul sur les réalités du monde. Erreur. Il arrive en effet que surgissent du fond des bibliothèques des découvertes susceptibles d’entraîner de grands bouleversements.
Parmi les derniers exemples en date, le travail de l’Allemand Christoph Luxenberg sur la langue du Coran. Ce philologue maîtrise l’arabe, littéral et dialectal, mais aussi le syriaque et « l’arabo-syriaque », langue largement répandue vers les VIe et VIIe siècles. Et il s’est demandé en quelle langue exactement était rédigé le Coran.
L’interrogation peut surprendre. En arabe, évidemment. Mais quel arabe ? La difficulté vient du fait que les plus anciens manuscrits connus ne comportent que l’écriture des consonnes. C’est plus tard, sans qu’on sache d’ailleurs au juste ni quand ni comment, que furent inventés les systèmes de points pour noter les voyelles et permettre ainsi de distinguer des termes s’écrivant de manière identique mais se prononçant différemment. Ces hésitations sont bien connues, mais le savant fait un pas de plus en tentant de lire à partir du vocabulaire arabo-syriaque certains des passages obscurs du « Livre clair ». Les résultats sont étonnants. Ainsi, dans la sourate de Marie (XIX, 24), Jésus, à peine né, s’adresse à sa mère pour la consoler. Au lieu de « Ne t’attriste pas ! Ton Seigneur a mis à tes pieds un ruisseau », texte habituel mais énigmatique, la lecture arabo-syriaque conduit à comprendre : « Ne t’attriste pas ! Ton Seigneur a rendu ton accouchement légitime. »
Plus étonnante encore est la transformation des fameuses houris des jardins paradisiaques en... simples raisins ! Au lieu de « vierges aux grands yeux », il faudrait lire « fruits blancs comme le cristal ». Si l’on songe à l’emprise imaginaire de ces épouses célestes, pour lesquelles les kamikazes islamistes d’aujourd’hui protègent leurs parties génitales, on mesure le chambardement. Et si Luxenberg avait raison, le Coran n’aurait été d’abord qu’un lectionnaire (sens du terme en syriaque), une sorte de manuel destiné à expliquer la Bible, et non à la remplacer !
Comme le souligne Rémi Brague, professeur à la Sorbonne, dans un article publié dans le numéro d’avril de la revue Critique, il est temps d’ouvrir sur la question un vaste débat scientifique. Si ces hypothèses étaient avérées, imagine-t-on les conséquences ? Les érudits, décidément, ne sont pas inoffensifs.