Personne ne peut mettre en doute les souffrances subies par les kurdes, notamment lors du massacre de 1988 à Halabja, en Irak, où des milliers de civils ont péri sous les armes chimiques. Ce peuple, d’origine indo-européenne, lutte depuis plus d’un siècle pour son autodétermination, ce qui est tout à fait légitime.
Ce qui peut par contre paraître discutable, c’est que cette volonté soit utilisée, et peut-être même détournée de ses objectifs initiaux, par des groupes armés qui n’hésitent pas à recourir à des méthodes terroristes, et peut-être même au trafic international de la drogue.
C’est en marge des manifestations d’organisations kurdes et d’ONG sur la place des Nations à Genève, ces dernières semaines, que nous avons pu être mis en relation avec Rizgar (1), un ancien cadre du PJAK (Parti pour une vie libre au Kurdistan). Cette organisation politique et armée veut édifier un État indépendant, apparemment, en concentrant ses actions militaires sur l’Iran.
Notre but n’est pas prendre cause pour l’une ou l’autre des parties, mais selon la devise de Simenon de « Ne pas juger, comprendre ».
Afin d’être tout à fait objectif, nous donnerons prochainement la parole à un responsable actif du PJAK, de sorte à ce qu’il puisse répondre aux assertions que notre interlocuteur présente dans cet entretien.
Mecanopolis : Le PJAK a indiqué vouloir intensifier ses opérations terroristes sur le sol iranien. Quel est selon vous la capacité de nuisance de cette organisation ?
Rizgar : Ses capacités ne sont pas très importantes. Le PJAK n’entre pas directement en conflit armé avec les forces de l’ordre iraniennes. Généralement, il s’en prend aux civils kurdes qui collaborent avec Téhéran, ou alors ils attaquent les positions frontalières de la police.
Ce qui est contradictoire pour cette organisation qui prétend se battre pour l’intérêt du peuple kurde, c’est que ces cantonnements frontaliers sont généralement tenus par deux ou trois jeunes kurdes qui effectuent leur service militaire obligatoire. Il se trouve en effet qu’en Iran, les soldats effectuent leur service militaire dans la région d’où ils sont natifs. Le PJAK assassine donc des kurdes, ce qui est l’inverse des intentions que ses dirigeants revendiquent. Ainsi, le 1er avril dernier, neuf jeunes soldats kurdes ont été tués par le PJAK à Mariwan (région kurde de l’Iran).
Pour répondre plus complètement à votre question, je peux affirmer que le PJAK ne possède pas d’armes lourdes, et que le nombre de ses troupes armées ne dépasse pas 500 hommes.
Le PJAK représente-t-il un véritable danger pour la sécurité de l’Iran ?
Franchement, non. 500 hommes en armes ne peuvent rien contre l’armée iranienne. Également, le corps des gardiens de la révolution, les forces de la police et des Basidj dépassent les vingt millions d’hommes et femmes. La force du PJAK réside surtout dans sa propagande de victimisation dans les médias occidentaux.
Est-ce que l’Iran négocie, directement ou indirectement, avec le PJAK ?
Non, jamais. D’ailleurs, Abdulrahman Haji Ahmadi, le président du PJAK, a déclaré dans un entretien récent qu’il n’a jamais participé à aucune négociation directe ou indirecte avec le gouvernement iranien. Il affirme aussi que cela n’arrivera jamais.
Pour le gouvernement iranien, le PJAK ne peut plus être un interlocuteur dès l’instant où il a commis des actes terroristes, et plus encore à l’encontre de civils kurdes.
Le PJAK aimerait faire pression par la terreur. Dans les numéros 9 et 10 d’Alternative, le magazine de propagande de l’organisation, ils n’ont pas hésité à menacer les journalistes kurdes qui émettent des réserves sur leur organisation. Ils ont aussi menacé le porte-parole de l’Organisation de droits de l’homme pour le Kurdistan, cela alors que même Téhéran ne reconnaît pas la légitimité de cette ONG. Ce que le PJAK reproche aux journalistes et aux ONG présentes, c’est qu’ils dénoncent leurs attaques terroristes contre les civils kurdes.
Historiquement, le PJAK est un des « bras armé » du PKK. Pensez-vous que ces deux organisations sont toujours liées aujourd’hui ?
C’est une évidence. Une interview récente de Osman Ocalan, le frère de Abdullah Ocalan qui est le fondateur du PKK, l’a confirmé à plusieurs reprises. Le PJAK et le PKK sont en contacts permanents. Le PKK et le PJAK reçoivent des formations militaires dans les mêmes camps d’entraînement. La seule différence est que le PJAK est uniquement actif sur le sol iranien. Également, le président officiel du PJAK, Haji Ahmadi, n’est en place que pour créer l’illusion que ce sont les kurdes iraniens qui décident des actions de l’organisation. En réalité, les ordres viennent des instances du PKK, au plus haut niveau de décision.
Les États-Unis et l’Union Européenne ont placé le PJAK sur leur liste des organisations terroristes. Comment se fait-il, selon vous, que le président du PJAK, Haji Ahmadi, puisse vivre librement en Allemagne ?
Tout cela démontre la politique hypocrite de « deux poids deux mesures » des pays occidentaux. D’ailleurs, la Belgique à récemment donné son feu vert au PJAK pour ouvrir un bureau à Bruxelles. Cela alors que, comme vous l’indiquez, cette organisation est considérée comme terroriste. Mais pour bien comprendre les enjeux, il faut prendre en compte que, selon Interpol, 80% de l’héroïne en provenance du Moyen-Orient transite par le PKK et le PJAK. Cela représente des sommes colossales qui permettent de négocier des avantages considérables pour le PJAK avec des pays européens et les États-Unis.
Le PJAK n’est pas actif en Irak. Pensez-vous que cela soit le résultat d’un accord avec les États-Unis ?
Assurément. Après les événements du 11 septembre 2001, le PKK, sous influence américaine, a changé le nom de ses organisations militaires. C’est ainsi que de nouvelles organisations ont été créés : le PJAK pour l’Iran ; le PCDK pour l’Irak ; le PYD pour la Syrie. Osman Jafari, qui est un des dirigeants du PJAK ne cache pas qu’il a rencontré en 2007 une délégation américaine à Kirkouk (nord de l’Irak).
Quels sont, selon vous, les véritables objectifs du PJAK ?
Le PJAK, sous prétexte de lutter pour l’indépendance du peuple kurde, n’a en réalité qu’une seule ambition : déstabiliser l’Iran. Son organisation militaire lui permet d’opérer dans le trafic de l’héroïne, ce qui est utile pour financer son fonctionnement et aussi pour corrompre un certain nombre d’interlocuteur européens et américains influents.
Mais cette organisation n’a en réalité aucune crédibilité. En Irak, les instances politiques kurdes ne lui reconnaissent aucune légitimité. De même que le KOMALA (Comité des révolutionnaires du Kurdistan iranien) et le Parti Démocratique du Kurdistan iranien.
Plusieurs sources d’information indiquent que le PJAK serait financé et formé par le MOSSAD (Israël) et la CIA (États-Unis). Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
Comme je vous l’ai dit, le trafic de la drogue opéré par le PJAK représente beaucoup d’argent. Cela attire forcément des intérêts croisés. Les relations entre le PJAK et les intérêts américano-sionistes sont évidents. D’ailleurs, le journaliste américain Reese Erlich a écrit de plusieurs articles qui démontrent que les membres du PJAK sont entraînés par des militaires israéliens dans l’enceinte de l’aéroport d’Arabial, dans le nord de l’Irak.
La minorité kurde qui vit en Iran prétend être maltraitée par le gouvernement de Téhéran. Qu’en est-il selon vous ?
Je ne nie pas les problèmes des kurdes et des autres minorités en Iran. La situation également difficile pour les iraniens eux-mêmes. Néanmoins, les assassinats collectifs du PJAK sont un moindre problème en regard des négligences de Téhéran. Rien ne légitime les actions terroristes du PJAK.
Vous êtes un ancien cadre du PJAK. Pour quelles raisons avez-vous quitté cette organisation ?
Principalement en raison des contradictions totales entre les objectifs affichés et les actions accomplies sur le terrain. Il m’était également insupportable que la cause kurde soit instrumentalisée au bénéfice d’activités mafieuses. Avec le temps, je me suis rendu compte que le PJAK s’égarait dans une dérive paranoïaque, faisant de chaque kurdes qui ne soutenait pas la stratégie de l’organisation un traitre potentiel. Je n’avais plus envie de vivre dans une secte où chacun doit adorer Apo (Abdullah Ocalan), comme s’il était un dieu vivant, et où le président de l’organisation, Haji Ahmadi, est quasiment inexistant.
A votre départ du PJAK, avez-vous reçu des menaces ? Vous sentez-vous en danger ?
Je n’ai reçu aucune menace. Personne ne sait où je vis. Mais par contre, d’autres cadres du PJAK ont été assassinés après avoir fait défection. Heval Hogir a été tué dans un autobus en Allemagne ; Heval Kani Yilmaz, qui était l’ex-représentant du PKK pour l’Europe, a été tué dans la ville de Souleimaniye, dans le Kurdistan irakien ; Heval Sipan et Kemal Sur, ont eux aussi été assassinés dans la ville de Tchamtchamal, dans le Kurdistan irakien. Ces deux derniers meurtres ont même été revendiqués par Osman Ocalan dans un entretien accordé aux organes de propagande du PJAK.
Avez-vous abandonné la lutte pour le peuple kurde ?
J’ai abandonné la lutte par la violence, car je suis maintenant convaincu que les actions terroristes menées par le PJAK ne résoudront rien. Je suis certain que si l’on pouvait organiser un référendum auprès du peuple kurde, il rejetterait en masse la stratégie de violence du PKK et de ses organisations militaires. Ce que je souhaite, c’est mettre en place, depuis la Suisse, des actions pacifiques afin d’être utile à mon peuple.
(1) Rizgar est un pseudonyme. Pour des raisons évidentes de sécurité, notre interlocuteur a souhaité rester anonyme, ce que nous respectons – cela d’autant plus que nos rencontres, effectuées dans une grande discrétion, nous ont démontré que le sujet n’était pas sans risque.