N’importe quel prétendant aux plus hautes fonctions de l’État aimerait se prévaloir d’un tel bilan : l’économie espagnole a créé près de 950 000 emplois entre la fin 2013 et la fin 2015 et le taux de chômage a baissé de 5,3 points pour atteindre, certes, un niveau encore élevé de 20,9 %. Pourtant, ce « miracle » espagnol, tant vanté de ce côté-ci des Pyrénées, n’a pas profité aux candidats des deux dernières élections législatives (de décembre 2015 et de juin 2016) qui n’ont pas réussi, depuis huit mois, à former un gouvernement.
- Queue au Pôle Emploi espagnol
La situation économique, au cœur des grands enjeux électoraux, a divisé le pays. Et les Espagnols pourraient bien retourner aux urnes fin décembre, le conservateur Mariano Rajoy du parti populaire (PP) ayant échoué à obtenir la confiance du parlement le 2 septembre dernier. Les réformes du marché du travail ibérique entamées en 2010 sous le mandat du socialiste (PSOE) José Luis Zapatero et largement poursuivies par son successeur de droite, ne semblent pas avoir convaincu une majorité d’électeurs de leur efficacité en matière de créations d’emploi et de leur propension à endiguer les contrats précaires.
Le lien de cause à effet semble difficile à établir, confirme une étude du Trésor sur le sujet. « L’impact de la réforme sur l’emploi et le fonctionnement du marché du travail ne peut être estimé avec fiabilité à ce stade », concluent Jonas Anne-Braun, Marine Bogue, Christophe Gouardo et Rémy Mathieu. Une évaluation rendue difficile par le « manque de recul temporel » et « l’ampleur des ajustements qui ont affecté l’économie espagnole en même temps ».
Réformes en batterie
C’est certain, les gouvernements successifs n’ont pas ménagé leurs efforts pour flexibiliser le marché du travail. Le système de négociation collective dont la rigidité, estime l’étude, aurait contribué à la forte hausse du chômage durant la crise, a été largement assoupli. Bien avant les débats hexagonaux sur la loi travail, le gouvernement espagnol a inversé la hiérarchie des normes, faisant primer l’accord d’entreprise sur l’accord de branche. Il a également mis fin au principe d’« ultra-activité » qui permettait la reconduction de la convention collective antérieure, faute de nouvel accord. Cette mesure qui poussait les négociateurs à se retrouver plus souvent autour de la table a toutefois été limitée par une décision du tribunal suprême (un an après l’expiration de la convention, ses modalités continuent de s’appliquer pour les salariés en poste). Enfin, le principe d’indexation des salaires sur l’inflation dans les accords interprofessionnels a été abandonné, afin de contenir la hausse des salaires.
En matière de flexibilité interne, une batterie de dispositions a également été prise. À commencer par la suspension temporaire des conventions collectives en cas de choc économique ou encore la possibilité de moduler le temps de travail de 10 % sur l’année, à l’initiative de l’employeur, sans qu’il y ait nécessairement un accord.
Conséquence de toutes ces mesures, le nombre d’accords de branche a diminué de moitié chez nos voisins ibériques, rappelle Catherine Vincent de l’Ires. Sans pour autant dynamiser les accords d’entreprise : ils ont, eux aussi, baissé d’un tiers. En 2010-2012, 12 millions d’Espagnols étaient couverts par une convention collective. Ils ne sont plus que 7 millions aujourd’hui.
Le volet flexibilité externe n’a pas été oublié. Les conditions du licenciement ont considérablement été facilitées. Les indemnités en cas de licenciement abusif (ce qui correspondait peu ou prou à la mesure finalement retirée du projet de loi travail français de barémisation des indemnités prud’homales) ont été abaissées de 45 à 33 jours par année d’ancienneté avec un plafond maximum de deux ans. Les salaires ne doivent plus être obligatoirement versés jusqu’à l’issue d’une procédure judiciaire, en contrepartie de la suppression du « despido exprès », le licenciement accéléré qui prévalait jusqu’en 2012. Et alors que les entreprises de moins de 50 salariés ont toujours une obligation de reclassement interne, elles sont exonérées de plan d’accompagnement des salariés licenciés.
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