Nous ne savons pas si l’historien, démographe et anthropologue spécialiste des modèles familiaux Emmanuel Todd s’inspire d’E&R mais nous pouvons faire le constat suivant : en produisant un travail sérieux et honnête sur la question des Luttes de classes en France au XXIe siècle (son nouveau livre) et en revendiquant clairement l’influence de Karl Marx, Todd délivre un message plus subversif que la plupart des commentateurs autorisés du système politico-médiatique. L’animateur de France Culture Guillaume Erner (ancien vendeur de prêt-à-porter féminin du Sentier et spécialiste universitaire de l’antisémitisme) fera d’ailleurs tout son possible pour lui couper la parole. Nous vous proposons ici, chers lecteurs, de passer au crible (à l’aune de la grille de lecture E&R) l’intervention de celui qui se définit lui-même comme un « vaincu de l’histoire ».
La paupérisation de la France
« Il y a un appauvrissement homogène de la société qui détache les 99 % des 1 %. »
La thèse principale du nouveau livre de Todd est la « paupérisation ». A contrario de la plupart des sociologues et autres économistes, le statisticien Todd démontre que l’inégalité n’est pas le problème fondamental de la société française : c’est la baisse du niveau de vie qui est au centre de tout ! Et l’auteur le dit droit dans ses bottes : c’est l’euro qui a détruit l’économie française de la même manière que l’Union européenne a détruit la démocratie représentative.
Attestant de la prolétarisation des classes moyennes, Todd confirme la dictature oligarchique d’une élite ultra-minoritaire. Les 1 % de « l’aristocratie stato-financière » sont bien décrits comme des parasites et des faux libéraux, des technocrates économiquement impuissants qui se vengent sur le peuple par « sadisme politique ». Pour lui, nous sommes dans « une société qui s’appauvrit, dans laquelle le système des partis a explosé, avec une haute bureaucratie qui ne comprend pas ce qui se passe et où la police mutile la population ».
Dans ce contexte, le « vaincu de l’histoire » (par l’euro et la paupérisation) Todd ne peut que s’enthousiasmer pour la révolte des Gilets jaunes qu’il espère voir s’amplifier par la contestation des classes intermédiaires de la réforme des retraites. Une autre manière de formuler la nécessité de l’alliance de la gauche du travail et de la droite des valeurs (donc de la bourgeoisie entrepreneuriale nationale et du peuple du travail) pour sauver la France.
L’impasse Marine
« Je spécule une collaboration future dans les violences faites à la société : le macrono-lepénisme. »
La mutation du libéralisme libertaire en libéralisme sécuritaire par son alliance avec le national-sionisme est finement pressentie par l’analyste Todd. Il nous le dit bien : politiquement et économiquement impuissant, le gouvernement ne peut que parler d’identité (islam et antisémitisme) et gérer la baisse du niveau de vie. « La société est paralysée, atomisée, avec un État fou et plein de ressentiments qui veut mettre au pas la société comme le parti national-socialiste ».
En s’engouffrant dans la brèche identitaire nationale-sioniste (et en reniant la ligne E&R), le Rassemblement national s’est tiré une balle dans le pied : Marine et sa ligne raciale (par lâcheté, calcul et incapacité à comprendre la question sociale) se coupe des Gilets jaunes et se condamne à être éternellement perdante électoralement.
Mais la nécessaire dérive autoritaire du pouvoir libéral ouvre des perspectives au RN : pourquoi pas, en période de crise, une cohabitation avec le pouvoir macronien ? Auxiliaire de police oligarchique prêt à « mettre au pas » le peuple réfractaire (puisque, comme le dit Goldnadel, les Gilets jaunes ne sont que des « islamo-gauchistes avec un chouïa d’extrême droite antisémite »), voilà qui sortirait Marine de l’impasse.
L’immigrationnisme
« Un peuple a le droit de contrôler ses frontières et c’est une idée consubstantielle à la démocratie. »
Emmanuel Todd le dit à plusieurs reprises : « Une démocratie, c’est un peuple sur un territoire ». S’il ne se présente pas lui-même comme un anti-immigrationniste absolu, il fait bien remarquer que les immigrationnistes radicaux sont par la force des choses des antidémocrates radicaux...
Un autre point est soulevé par le démographe en rapport avec cette question : le blocage de la mobilité économique et sociale. « Pour assimiler des immigrés, il faut avoir une société dynamique. Dans la zone euro et en suivant les règles commerciales de l’UE, la France est figée ».
Souveraineté et dynamisme économique : tout ce qui manque à la France pour gérer sereinement la question migratoire et sortir des obsessions sur l’islam.
L’antisémitisme c’est bidon
« Défendre les juifs, dont personne ne parle, c’est mettre la question juive au centre du débat. »
Grosse surprise pour l’animateur de France Culture lorsqu’Emmanuel Todd, petit-fils d’un rabbin de Bordeaux (mais aussi du journaliste, philosophe et romancier Paul Nizan), déclare à son micro que l’antisémitisme est un « problème qui n’existe pas ».
On discerne même un « Il n’y a pas d’augmentation » (des agressions antisémites) que l’intervieweur s’empresse d’évacuer.
Quant à son concept d’« antisémitisme 2.0 », n’importe qui peut déduire la virtualité de la problématique...
Todd ferait-il partie de ceux qui ont compris que la manipulation de l’antisémitisme était dangereuse pour la communauté juive ?
L’écologisme c’est bidon
« Il y a une augmentation incessante du taux de crétins diplômés dans le haut de la structure sociale. »
Là encore, la sentence est fulgurante : le véritable problème, c’est la baisse du niveau de vie. L’écologisme des classes éduquées est une « fausse conscience en train de se désintégrer dans l’absurde ». Pendant ce temps, les classes « inférieures », elles, se réarment intellectuellement...
Trump
« Pour les conformistes, lutter contre le populisme devient une raison d’être parce qu’ils sont vides. »
Pas de diabolisation de Trump pour Emmanuel Todd, au contraire : l’actuel président des États-Unis est aussi légitime que ses mesures protectionnistes.
C’est plutôt la faillite de l’establishment que l’invité de France Culture pointe. Les démocrates n’ont aucun programme, aucune idée, tout se résume pour eux à la lutte contre le populisme... Évidemment, l’impeachment n’aura pas lieu, les opposants au président américain se servent de cette procédure désespérée pour masquer leur inanité. De quoi méduser les auditeurs habituellement bercés aux revendications « progressistes ».
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Les limites
Nous aurions aimé que l’historien et anthropologue en voie de marxisation en dise plus sur tous ces sujets, qu’il cible plus précisément les instigateurs de la situation catastrophique qu’il décrit et qu’il assume son positionnement... Mais pour cela, il y a Alain Soral et E&R ! Et en attendant que Todd franchisse le rubicon, nous saluons l’effort.
Prospective : Emmanuel Todd a tout à fait le profil pour jouer le rôle de maître à penser d’un leader populiste dans les prochaines années. Le calculateur aux petits pieds Mélenchon assumera-t-il enfin sa tentation doriotiste face à l’histoire ? Rien n’est moins sûr...
La vidéo :
En complément : Frédéric Taddeï reçoit Emmanuel Todd sur RT France
« Gauche du travail, droite des valeurs » avec le dernier SAPTR !