A l’époque du débat sur le projet de constitution européenne, une phrase, révélatrice, fut souvent mise en avant : la fameuse « concurrence libre et non faussée ».
D’aucuns prétendaient que cette « concurrence libre et non faussée » visait la disparition des services publics et plus précisément des grands pôles nationaux de l’énergie, des transports, de l’éducation et de la santé. Ils n’avaient pas tort...
En fait, toute la duplicité des artisans de la construction européenne fut, en premier lieu, d’avoir recours à une dialectique biaisée : une utilisation systématique d’un vocabulaire économique dans leurs discours sur l’évolution des services publics d’état. Des termes comme monopole, concurrence ou rentabilité, furent petit à petit intégrés et associés aux débats concernant les services publics.
Or, la notion de monopole ou de concurrence n’existe pas lorsque l’on parle de services publics, puisque ceux-ci, financés par le contribuable, émanent de choix politiques... Ils répondent à des intérêts stratégiques de garantie de fonctionnement, de service et de coût, qui n’intègrent aucune notion de rentabilité ou encore de « marché »
Aujourd’hui pourtant, soumis en permanence à la rhétorique de cette « novlangue », de nombreux citoyens ont fini par assimiler cette mise en concurrence du public avec le privé.
C’est bien sûr l’Union Européenne qui, par le biais de ses directives, œuvre à la diffusion de cette insidieuse propagande et à l’application de cette politique de démantèlement. L’UE étant elle-même une courroie de transmission de l’Organisation Mondiale du Commerce et en particulier l’Accord Général sur le Commerce et les Services (AGCS).
En France, la création d’ERDF (Électricité Réseau Distribution France) en 2008, filiale de distribution d’EDF (tout comme RSF (Réseau Ferré de France), filiale de la SNCF, pas innocent dans la dégradation du service ferroviaire), préfigure la mise en coupe réglée de ces pôles nationaux, afin de préparer l’arrivée d’opérateurs privés sur ces nouveaux marchés imposés par l’UE.
C’est donc dans ce contexte que le 24 novembre 2010, en toute discrétion et dans un silence médiatique bien complice, une étape importante du processus de libéralisation du marché de l’énergie a été franchie au parlement Français : la loi sur la Nouvelle Organisation du Marché de l’Énergie (NOME) a été votée.
Les français restant massivement fidèles (96% des usagers !) au fournisseur historique EDF, il fallait bien que nos chers élus, pressés par une implacable machinerie européenne, obtempèrent et mettent aux pas ce peuple rétif. Qu’à cela ne tienne !
Dans le cadre de cette UE du non sens et de la duplicité assumés, le gouvernement français vient de créer, artificiellement, une concurrence imposée et bien faussée.
En prélude, afin de permettre l’avènement de ce nouveau marché de l’énergie, il fallait briser l’attachement logique des français à l’entreprise nationale et à son électricité la moins chère de l’UE.
C’est donc sciemment et dans ce seul but que le gouvernement oblige, dans un premier temps, EDF à augmenter ses tarifs (tout s’éclaire). Puis dans un second temps, par le décret de la loi NOME, à supprimer la réglementation tarifaire (progressivement jusqu’en 2015) et forcer EDF à revendre, à un prix avantageux, jusqu’à 25% de sa production électrique aux opérateurs privés. Bingo ! Poweo, Direct Energie, GDF-Suez et autres E.On, ne se voient pas accorder un boulevard, mais une véritable autoroute ! Et qui plus est, financée généreusement par le contribuable.
Un véritable holdup !
(Laissons de côté le choix du nucléaire comme principale source de production, ainsi que la politique, très discutable, d’externalisation d’EDF, qui ne sont pas ici l’objet du propos.)
Ainsi, depuis 1946 et le CNR, des milliards auront été investis par l’état français dans le développement d’une entreprise nationale de l’énergie et de son réseau électrique couvrant la totalité du territoire. Ceci, afin de garantir une indépendance énergétique du pays et offrir une garantie de services et de coûts des plus profitables pour le contribuable.
Et tout ceci pour qu’en 2011, l’état livre 25% (pour le moment) de la production et la totalité du réseau (moyennant une modeste rémunération) à des opérateurs privés. Et afin de garantir à ces opérateurs des marges providentielles et une rentabilité exceptionnelle (avec en cadeau bonus le nouveau compteur Linky, véritable petit mouchard imposé par décret), l’État impose à EDF de leur vendre sa production à prix cassé (1) et par contre, de pratiquer des tarifs bien plus élevés pour ses propres clients.
Comme par le passé déjà en d’autres occasions, le procédé est maintenant bien rôdé pour faire profiter les copains du privé : mutualisation des coûts et privatisation des bénéfices. (2)
Vous avez-dit « concurrence libre et non faussée » ?…
Ainsi, quand vous verrez prochainement sur les petits écrans, les campagnes publicitaires qui vanteront l’ouverture de votre portefeuille à la sacro-sainte concurrence, n’oubliez pas que ce sera avant tout par le bas de votre dos (pour rester poli…), que celle-ci passera.
(1) : une bataille de lobbying fait rage entre EDF S.A. et ses concurrents, notamment GDF-Suez, autour du prix de revente. Il sera vraisemblablement fixé par la Commission de Régulation de l’Énergie (CRE), « organisme indépendant » fédéré à l’UE (paradoxe, quand tu nous tiens). C’est également la CRE qui définira les tarifs aux particuliers à partir de 2015, sans obligation de consulter le gouvernement français.
(2) : en allant plus loin, M.Ladislas Poniatowski, membre de la Commission Champsaur chargée de rédiger le rapport à l’origine de NOME (http://www.fournisseurs-electricite...), suggère d’ouvrir le capital des centrales nucléaires françaises. De l’électricité Goldman Sachs, c’est pour bientôt !