Trois explications
Il y aurait, à la décision de dissoudre l’Assemblée nationale au soir du 9 juin dernier, trois explications possibles.
1. Retour en force de la Macronie. Cette première explication est à exclure immédiatement, tant elle est absurde. La Macronie était au pouvoir, et, 49.3 oblige, avec une majorité solide. Il serait absurde de lui prévoir une meilleure situation, impossible dans le contexte actuel. Il n’est que de voir la réaction de la Macronie pour comprendre que dans ce camp tous ont été pris de court et se sentent trahis et abandonnés. La Macronie avait tout à perdre et elle va tout perdre.
Certains en restent là, misant sur l’idiotie ou la démence de Macron. Mais supposons-lui du sens, et poursuivons.
2. Arrivée au pouvoir du Rassemblement national. Cela ne tient pas non plus. D’abord parce que les législatives ne sont pas des élections à la proportionnelle, et donc que même avec plus de 50 % des voix sur l’ensemble de la France, si l’on n’obtient pas les 50 % plus une voix dans la circonscription, l’on n’aura pas d’élu ; ensuite parce que les européennes ne représentent qu’un enjeu très mineur : ce sont des élections où les frontistes se déplacent, mais ils sont bien les seuls. Nous pouvons prédire un nombre de députés suffisant pour faire une opposition, mais rien qui permette d’exercer le pouvoir.
Quant au Bloc des droites, il n’est pas pour aujourd’hui.
Certains croient que l’on veut faire passer le RN afin de le griller avant les présidentielles de 2027. Il y a de l’idée, mais à notre avis ce n’est pas encore ça.
3. Arrivée au pouvoir de la gauche. C’est à l’évidence ce résultat que nous verrons le soir du 7 juillet. Le centre macroniste effondré, la droite divisée et affaiblie par le RN, ne reste plus que la gauche. Quelle gauche ? Celle de LFI, qui était restée seule. Et surtout l’autre gauche, celle des Hollande et des Glucksmann, qui revient. Bien malgré elle !
Qui gagne (en 2024) perd (en 2027)
Car une chose est sûre : l’héritage de la Macronie est très lourd. Le porter n’est pas un cadeau. Si l’on regarde bien, personne n’en veut. Sauf Bardella, qui est le seul à y croire. Mais sinon, sachant que celui qui portera le poids des deux ou trois années supplémentaires de migrations, de guerre, de crise sociale gravissime qui s’annoncent, ne pourra en aucun cas gagner en 2027.
Les Glucksmann et les Mélenchon, les Hollande, Royal et autres Dray ont bien compris que Macron faisait à la gauche un cadeau empoisonné. La gauche va gagner le privilège de porter la patate chaude. Leur situation va être d’autant plus compliquée avec un président qui ne va pas céder sur ses privilèges régaliens. La gauche revient à l’insu de son plein gré.
Ensuite, c’est difficile à dire. Comment la gauche va-t-elle se défendre, nous ne le savons pas. Du chaos national, le RN pense qu’il peut avoir sa chance en 2027. Mais est-ce si sûr ? Ou plutôt, de quel RN s’agira-t-il alors ?
Une alternance par retour de la polarisation
Montesquieu l’avait déjà dit : dans une démocratie parlementaire, il est important qu’il y ait de loin en loin des élections, parce que cela tient le peuple en haleine. Il suffit de lui ménager des espoirs dans l’alternance (De l’esprit des lois, liv. 11, chap. 6). Les mécontents ont toujours une bonne raison de se tenir tranquille, parce que dans deux, cinq ou dix ans il a des élections qui vont porter au pouvoir les artisans du changement.
Après l’engouement délirant de 1981, le jeu de l’alternance gauche-droite commençait vraiment à s’user. Aussi a-t-on trouvé mieux, provisoirement : une alternance par le centre. Et pour cela effondrement des partis de droite et de gauche, mais belle montée des extrêmes, qui donnaient tout leur sens au centre. Mais ensuite ? Vous ne pouvez pas, dans ce système, accepter une alternance qui donnerait le pouvoir à l’un ou l’autre extrême. Si vous excluez la seule véritable alternance, c’est-à-dire un socialisme qui soit national, et vice versa, vous pouvez encore rétablir la polarisation droite-gauche.
C’est ce qui arrive actuellement. À gauche, l’extrême gauche met de l’eau dans son vin antisioniste (taxé d’antisémitisme), et, à droite, l’extrême droite dans son vin (de messe) islamophobe (taxé de racisme). En réalité l’arc républicain, jadis fondé sur les questions économiques et sociales, s’est reconstitué sur la lutte contre l’antisémitisme et l’homophobie. Un arc qui unit, mais qui doit diviser : les extrêmes retrouvent leur rôle de polarisateur. Vae neutris !
On s’explique mieux comment et pourquoi Macron saupoudre des attaques contre LFI d’un côté et contre le RN de l’autre. Il a été l’homme du rassemblement et de l’union ; son sale boulot terminé, de casse sociale et d’endettement du pays, il se retire, ranimant la division et rétablissant le système qu’il avait renversé. Le théâtre de marionnettes peut rouvrir.
La situation est bien en main. Il n’y aura sans doute plus personne pour pleurer les Palestiniens, qui sont déjà oubliés, ou pour s’opposer à une guerre contre les Russes ou les Chinois. Et peut-être est-ce tout ce qui comptait.