Des diplomates français rompent le silence et confirment dans une tribune publiée mardi par Le Monde un profond malaise de la diplomatie française, plus étendu encore que ce que le "printemps arabe" en a révélé.
Après "Surcouf" pour le milieu militaire, c’est au tour de diplomates de diverses origines, générations et sensibilités politiques, en activité ou à la retraite, de s’en prendre directement à la politique du président Nicolas Sarkozy, sous le pseudonyme "Collectif de Marly".
Tout y passe : l’impuissance de la France face aux crises africaines et arabes ou à l’émergence de la Chine, l’échec de l’Union pour la Méditerranée, l’indifférence américaine malgré le retour dans le giron de l’Otan, les fiascos à répétition dans la vente des Rafale et de l’industrie nucléaire française à l’exportation, la faiblesse politique de l’Europe, etc.
"Il se passe avec les diplomates ce qui se passe avec d’autres grands corps de l’Etat, une exaspération croissante en raison de la façon dont le président traite ses serviteurs", a expliqué un de ces diplomates à Reuters.
"Ça grondait depuis quelque temps", au Quai d’Orsay, a-t-il souligné. Mais ce qui a conduit le groupe "Marly" à publier ce premier texte, c’est une "manipulation" à laquelle la présidence de la République s’est, selon lui, livrée sur la Tunisie.
Les membres du groupe accusent l’Elysée de n’avoir fait "fuiter" que la partie d’un télégramme dans laquelle l’ancien ambassadeur de France en Tunisie, Pierre Ménat, estimait que le président tunisien Zine ben Ali semblait avoir repris la main, quelques heures avant sa fuite le 14 janvier.
Ils estiment que l’Elysée, faute d’avoir vu venir la chute de Zine ben Ali, a ainsi cherché à se dédouaner.
Or le télégramme, tel qu’il a fuité, a été tronqué de sa dernière partie, dans laquelle Pierre Ménat présentait d’autres scénarios, dont celle d’une fuite précipitée du président tunisien, précise le membre du groupe interrogé par Reuters.
Pierre Ménat a été rappelé à Paris et remplacé par un ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, Boris Boillon, aussitôt contesté par les Tunisiens après une rencontre houleuse avec la presse locale où il a fustigé des questions "débiles".
"La politique suivie à l’égard de la Tunisie ou de l’Egypte a été définie à la présidence de la République sans tenir compte des analyses de nos ambassades", peut-on lire dans sa tribune. "C’est elle (la présidence) qui a choisi MM. Ben Ali et Moubarak comme ’piliers sud’ de la Méditerranée."
Mais le groupe Marly, du nom du café du musée du Louvre où il s’est réuni la première fois, ne se limite pas à l’actualité arabe dans sa charge : "L’Europe est impuissante, l’Afrique nous échappe, la Méditerranée nous boude, la Chine nous a domptés et Washington nous ignore", résument ses membres.
"La voix de la France a disparu dans le monde. Notre suivisme à l’égard des Etats-Unis déroute beaucoup de nos partenaires", ajoutent-ils - une charge contre la politique atlantiste de Nicolas Sarkozy, qui a rompu avec la tradition gaulliste d’autonomie à l’égard des Etats-Unis.
Ils dénoncent des erreurs "imputables à l’amateurisme, à l’impulsivité et aux préoccupations médiatiques à court terme", comme le fait d’avoir confié au ministère de l’Ecologie la préparation de la conférence de Copenhague sur le climat, qui s’est soldé fin 2009 par un échec cuisant pour l’Europe.
"Notre politique étrangère est placée sous le signe de l’improvisation et d’impulsions successives qui s’expliquent souvent par des considérations de politique intérieure."