À peine âgée de 32 ans, Delphine O est déjà en première page du prestigieux New York Times. Inconnue du grand public il y a encore un an, cette normalienne experte du Moyen-Orient a connu une ascension fulgurante. Ayant rejoint le mouvement En marche ! dès sa création en avril 2016, cette native de Seine-Maritime est devenue suppléante du candidat LREM Mounir Mahjoubi, dans la 16e circonscription de Paris, pour les élections législatives de 2017. Ce dernier ayant été nommé secrétaire d’État en juin 2017, Delphine O est logiquement devenu députée.
Dès son entrée à l’Assemblée nationale, elle marque l’hémicycle par sa maîtrise des sujets internationaux. Après avoir étudié à la Freie Universität de Berlin, la jeune femme a travaillé à l’ambassade de France à Séoul, ainsi qu’au consulat de France à New York. Diplômée de Harvard, la Française a alors succombé aux charmes du Moyen-Orient. Elle a vécu en Iran et en Afghanistan, où elle a accompli des travaux de recherche et œuvré pour une ONG. Membre de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, présidente du groupe d’amitié France-Iran, Delphine O se veut le chantre de la diplomatie parlementaire, complémentaire selon elle de l’action gouvernementale.
Elle est aujourd’hui à l’origine d’une lettre ouverte signée par 500 parlementaires français, britanniques et allemands, adressée à leurs homologues du Congrès américain. Leur but : sauver l’accord sur le nucléaire iranien, signé en juillet 2015 par les grandes puissances (les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Russie, la Chine) et l’Iran, aujourd’hui menacé par Donald Trump, qui pourrait s’en retirer le 12 mai prochain. Le Point a rencontré Delphine O.
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En lisant votre lettre, on a l’impression que Trump a déjà décidé de sortir de l’accord nucléaire le 12 mai prochain.
Il y a en effet plus de probabilité qu’il décide de se retirer. Mais de toute façon, il n’y a pas de décision unilatérale de retrait. La date du 12 mai correspond à la décision du président américain de renouveler ou non la suspension temporaire d’une certaine catégorie de sanctions à l’encontre de l’Iran. Cette date est donc importante, mais le monde ne s’arrêtera pas le 12 mai prochain. Il est important de poursuivre ce dialogue entre parlementaires européens et américains après cette date. J’ignore si la lettre pourra effectivement changer l’opinion du président Trump, et du Congrès américain. Pour ce faire, il faudrait que l’on ait des conversations directes et pas uniquement une lettre publiée dans un journal. Voilà pourquoi nous envisageons avec mes collègues britanniques et allemands d’envoyer une délégation à Washington, avant le 12 mai, pour discuter, sur la base de cette lettre, du maintien des États-Unis dans l’accord, et de ce qui peut se passer par la suite, même en cas de retrait.
Quelles pourraient être, d’après vous, les conséquences d’un retrait américain, pour l’accord et pour le Moyen-Orient ?
Les Européens ont été extrêmement clairs là-dessus, et le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, l’a répété : nous resterons dans l’accord. Nous estimons que, même si les États-Unis se retiraient, cet accord est bon, nécessaire et incontournable. La grande inconnue est le maintien ou non des Iraniens dans l’accord. Il semble que les autorités iraniennes envisagent de se retirer en cas de retrait américain. Dans ce cas, l’accord serait nul et non avenu. Les conséquences seraient désastreuses, à la fois pour nos relations avec l’Iran et la situation dans la région. Car l’accord permettait non seulement de faire avancer la non-prolifération nucléaire dans la région, mais il avait également permis d’ouvrir un premier canal de discussion avec l’Iran, couronné de succès, et qui devait être suivi d’autres canaux. Si l’accord tombe, les autres canaux de discussions vont également tomber.
Mais ses opposants estiment que l’accord sur le nucléaire n’a strictement rien changé aux « activités déstabilisatrices » de l’Iran dans la région...
Nous répétons aux Américains que l’objectif de l’accord n’était pas d’empêcher l’Iran de soutenir Bachar el-Assad en Syrie, ou les houthis au Yémen. Il était écrit qu’il s’agissait d’empêcher l’Iran de se doter de l’arme nucléaire. Et cet objectif a été réalisé, comme l’a certifié à huit reprises l’Agence internationale de l’énergie atomique. Aujourd’hui, le programme nucléaire de l’Iran a été non seulement arrêté, mais ses capacités ont diminué. Il n’y a donc pas de risque de nucléarisation de ce pays. À l’inverse, si les Américains et les Iraniens se retiraient de l’accord, il existe un risque de nucléarisation, non seulement de l’Iran, mais aussi de ses voisins. D’ailleurs, d’autres pays comme l’Arabie saoudite ont récemment annoncé qu’ils pourraient être tentés de se lancer dans un programme nucléaire.
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Les récentes nominations de deux faucons – John Bolton au poste stratégique de conseiller à la sécurité nationale, et Mike Pompeo à celui de secrétaire d’État – ne condamnent-elles pas l’accord sur le nucléaire ?
Ce sont effectivement des signaux préoccupants, d’autant que ces néoconservateurs ont exprimé des positions très fermes vis-à-vis de l’Iran. Cela dit, ni Pompeo ni Bolton ne sont encore entrés en fonction. Et cela ne doit pas nous empêcher de continuer notre travail de persuasion auprès des membres du Congrès, de l’administration américaine, et du président Trump lui-même.