Ce 9 novembre pourrait passer à la postérité comme l’une des étapes du démantèlement du système international. En l’espèce, certains membres de l’UNESCO ont causé bien plus de mal au système de l’ONU et de ses agences qu’à la Serbie qu’ils voulaient achever.
La moitié des membres du conseil exécutif de l’UNESCO ont réussi à imposer, non seulement à l’autre moitié, mais aussi à l’assemblée générale des États membres, l’examen d’une question en violation avec la charte fondatrice (les statuts) de l’UNESCO.
Selon cet acte constitutif de l’UNESCO, seuls les États reconnus par l’ONU (même non membres de celle-ci) peuvent devenir membres de l’UNESCO, un territoire non reconnu comme État par l’ONU ne pouvant devenir que « membre associé », et uniquement sur proposition de l’État membre de l’ONU qui exerce la souveraineté sur le territoire candidat. Or dans sa recommandation d’admission du Kosovo, le conseil exécutif de l’UNESCO précisait que cette admission se ferait « dans le cadre de la Résolution 1244 du Conseil de Sécurité des Nations unies », celle qui a justement confirmé en 1999, après l’agression par l’Alliance Atlantique, l’appartenance du Kosovo à la Serbie. Donc une admission du Kosovo à l’UNESCO, en droit international comme d’après le texte de la résolution 1244, n’aurait pu être qu’une admission comme membre associé, c’est-à-dire territoire non souverain (il y en a une dizaine), et sur proposition de la Serbie.
Si l’assemblée générale avait été prête à suivre la recommandation de la moitié du conseil exécutif, elle aurait dû attendre une demande de la Serbie et admettre le Kosovo comme membre associé. Mais la proposition soumise à l’assemblée, par la présidence de séance au nom du conseil exécutif, consistait expressément à admettre le Kosovo comme État membre, ce qui aurait été non seulement un précédent unique mais une violation manifeste et expresse des statuts (l’acte constitutif) de l’UNESCO, en plus d’un déni évident de la résolution du Conseil de Sécurité que l’initiative rappelait ironiquement, comme pour défier encore plus l’ONU.
Le plus grave c’est, d’une part, que 92 parmi les 142 États membres présents aujourd’hui aient été d’accord avec la violation de l’acte constitutif de l’UNESCO, et d’autre part que les 50 autres membres présents n’aient même pas pu s’opposer à l’examen de cette question et à la tenue d’un vote dont la mise en oeuvre même (peu importe son résultat) a représenté une suspension de l’acte constitutif. En droit interne on appelle simplement coup d’État la révocation ou la suspension de la constitution, car le pays continue d’exister (on ne le dissout pas d’un coup de baguette dictatrice), et souvent ses institutions étatiques aussi. En droit international, l’annulation du traité fondateur d’une institution par ses membres, ou par certains d’entre eux sans que les autres ou l’institution elle-même ne réagissent, équivaut à une dissolution. Plus précisément c’est une dissolution de jure puisque l’acte fondateur étant aboli les membres ne sont plus liés entre eux (aucun État ne se laisserait imposer une cotisation pour des buts contraires à ceux ayant présidé à la création de ladite institution), mais ça peut aussi bien devenir une confiscation de facto si les membres passifs acceptent le changement de direction effectué par les usurpateurs de la personne morale internationale.
Là comme ailleurs on assiste à une tentative de détournement du droit international conventionnel (faute de pouvoir manipuler le droit international coutumier), qui débouchera sur la dissolution de facto des institutions internationales.
Le droit international s’en remettra ; de toute façon, en la matière comme ailleurs, l’excès de normalisation écrite et de la construction de structures permanentes pour matérialiser ou détailler toujours plus de réglementations circonstancielles est auto-destructeur. À trop vouloir ignorer le droit coutumier pluricentenaire, le droit positif conventionnel perd sa légitimité. Les traités entre deux ou plusieurs États ont toujours existé, les conférences multilatérales multipliées à partir du XIXe siècle ont permis de sérieux progrès, mais l’échec hier de la Société des Nations, et maintenant de la galaxie de l’Organisation des Nations unies, vient directement de leur prétention à l’universalité et l’omnipotence. Comme l’enseigne la sociologie, à la longue toute organisation a tendance à développer des buts autonomes, distincts des intentions qui ont présidé à sa création. Pour ce qui est de l’universalité, alors que l’admission initiale à l’ONU était subordonnée par ses fondateurs à un certain nombre de conditions préliminaires, en acquérant sa propre autonomie l’institution a voulu s’étendre sur tout le globe, en admettant des membres qui n’adhèrent pas à ses principes fondateurs et à sa charte, voire qui proclament, seuls ou en ligue, des principes opposés : on doit bien constater aujourd’hui que les « droits de l’homme » et la souveraineté des États ne sont pas des valeurs universellement admises. Pour ce qui est de l’omnipotence, en multipliant ses domaines d’intervention, et en engendrant, au gré des priorités de ses membres les plus influents, des outils institutionnels redondants et défiant sa mission et sa charte, l’ONU ne pouvait éviter de se diluer et surtout de perdre sa légitimité.
En tout cas le procédé ressemble à l’usurpation du Conseil de Sécurité par certains de ses membres, il y a quelques années, pour créer en son nom des instruments internationaux non prévus dans ses domaines de compétence. Il rappelle aussi la constitution d’un faux « G7bis » parallèle, et au nom abusé, par les membres dissidents du G8, certes moins grave puisqu’il ne s’agit là que d’une conférence informelle sans statuts écrits.
Enfin, ce procédé est exactement celui décrit dans l’un des Scénarios de Stratediplo, comme mesure préparatoire à l’attaque d’une coalition internationale contre un pays membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU, et accessoirement aussi membre de la coalition qui va l’attaquer : la France n’est plus à l’abri.