Certaines voix laissent entendre que l’Ukraine ne serait plus au centre des préoccupations des États-Unis avec Trump. Puisque le grand Messie de la paix serait arrivé, Amen ! Le Deus ex machina serait descendu du Ciel et la guerre en Ukraine contre la Russie disparaîtrait miraculeusement de la scène internationale, les acteurs seraient fatigués et le public aussi. S’il ne faut jamais négliger la puissance de l’illusion (ni celle de l’illusionniste), ils ne peuvent modifier la réalité, seulement sa perception. La modification de la réalité dépend des actions des acteurs. Et c’est ce jeu qui semble s’engager, afin de faire disparaître du champ politique une défaite en Ukraine contre la Russie, qui sinon aurait un effet désastreux sur la globalisation.
Trump n’aurait pas parlé de l’Ukraine lors de son investiture, il ne promet pas monts et vaux d’Or sur le front ukrainien, la partition du territoire ukrainien n’est plus un tabou. Bref, l’Ukraine ne serait pas son combat, il y aurait soi-disant la Chine avant la Russie dans la file d’attente des ennemis, et l’aide militaire à Israël, pour achever son génocide et reconfigurer la région.
Y a-t-il véritablement une perte d’intérêt pour l’Ukraine ? Ce qui est censé signifier, pour ceux qui tiennent ce discours, que l’Ukraine objectivement en deviendrait automatiquement moins importante dans le cadre du combat géopolitique, qui se mène entre le monde global et la Russie.
C’est en tout cas l’illusion que l’on veut nous vendre.
La guerre-éclair conduite sur le front ukrainien par les Atlantistes, censée faire s’écrouler une armée russe, présentée comme archaïque et sous-équipée dans les premiers temps de cette opération, traîne et s’éternise. Alors que la défaite fulgurante de la Russie devait conduire à son effondrement, en effritant le pouvoir politique et la confiance de la population, comme après l’Afghanistan, l’effet inverse a été obtenu. La Russie, qui fin 2021 discutait dans un parfait alignement davosien d’imposer les QR Codes dans les transports pour en interdire l’accès aux non-vaccinés afin de construire une société globale « propre », se déglobalise par la force des choses et revient dans le cours de l’histoire.
À ce jour, les atlantistes ont subi une double défaite contre la Russie. Militairement, après avoir fait violemment reculer la Russie dans les premiers mois de cette phase active de la guerre, la Russie a tout d’abord stabilisé le front et avance, lentement mais sûrement. Idéologiquement, la déglobalisation, encore impensable fin 2021, s’installe dans le pays et force les élites globalistes russes encore au pouvoir soit à s’adapter, soit à faire profil bas. Peu quittent le pays, pour la simple et bonne raison qu’ils ne présentent strictement aucun intérêt pour l’Occident, s’ils ne peuvent travailler de l’intérieur.
Mais cette défaite des Atlantistes ne signifie pas pour autant la victoire de la Russie. Et c’est ici que Trump est dangereux. En bon négociateur qu’il est, il fait baisser le prix du produit – en l’occurrence de la guerre en Ukraine, sans évidemment la délaisser. Un faucon a été nommé conseiller sur ce sujet, il force les pays de l’OTAN à augmenter leurs dépenses militaires, l’UE assure la transition. Bref, si Trump n’arrive pas à faire tomber la Russie dans le piège de l’illusion de la « paix » qu’il veut lui faire avaler, les mécanismes de guerre sont prêts à être activés immédiatement.
Et c’est bien l’alternative qu’il veut présenter à la Russie : soit vous négociez avec moi et à mes conditions, soit vous vous battez avec eux et je les soutiendrai.
L’intérêt pour l’Ukraine n’a pas changé et son importance dans le jeu géopolitique entre le monde global et la Russie n’a pas baissé miraculeusement. C’est toujours l’angle d’attaque pour frapper la Russie au cœur. C’est toujours le conflit primaire, car la Russie présente un danger existentiel et civilisationnel pour le monde global, à la différence de la Chine qui n’est qu’un concurrent commercial. Et c’est bien pour cela que Trump annonce un appel téléphonique rapide avec Poutine, et c’est bien pour cela qu’il ne cesse de parler de négociations, sans rien préciser de concret par ailleurs, pour faire monter et l’intérêt et l’attente.
Car comment régler la question ukrainienne aujourd’hui ? La reconnaissance juridique des nouvelles frontières de la Russie, qui est déjà en soi irréaliste pour l’Occident, laisse de toute manière ouverte la question du reste du territoire. Comment garantir qu’il ne soit pas réarmé ? Comment garantir la présence d’un gouvernement politique, qui ne soit pas une marionnette atlantiste et qui ne soit pas dirigé ensuite vers la Russie ?
Le seul moyen pour la Russie de garantir sa sécurité et d’instaurer une paix durable est de contrôler juridiquement ce territoire, de telle manière qu’il n’existe plus d’entité « Ukraine », ni en Russie, ni en dehors de Russie.
La Russie en aura-t-elle le courage politique et se donnera-t-elle les moyens militaires de sa paix durable ? En tout cas, ce n’est pas Trump, qui va la lui offrir sur un plateau. La Russie a le choix de négocier maintenant et de se battre pour les miettes, que Trump voudra bien lui laisser, ou de remporter une victoire militaire et de faire signer leur capitulation aux armées atlantistes. Ce n’est pas tout à fait la même « paix », qui en ressortira, ni pour la Russie, ni pour le monde. Car dans le premier cas, la globalisation continuera à exister, donc le danger sera toujours présent et le combat reprendra. Dans le second cas, nous pourrons établir un nouvel ordre international, qui ne soit pas celui de la globalisation.