C’est un des films marquants des années 70, qui étaient encore follement créatives. Le film de Bertolucci est désormais, après cinquante ans d’exploitation et de succès, attaqué pour une scène d’amour brutal – ce n’est pas du viol –, car maintenant, la fiction elle aussi tombe sous le coup des coupeuses de couilles. La censure regarde derrière la caméra, les scènes hétéros passionnelles semblent condamnées.
La Cinémathèque de Paris avait prévu de diffuser le film sur ses écrans ce dimanche 15 décembre 2024, dans le cadre d’une rétrospective Brando. La veille, l’établissement a fait dans son froc et envoyé ça à la presse :
Les ligues de vertu traquent toute relation homme-femme considérée comme inappropriée, selon leurs critères évidemment. Or, l’amour peut être violent, et dans les deux sens. Il y a la violence visible, et la violence invisible, on le sait tous. Les hommes réagissent avec la voix ou la main, les femmes avec la cruauté mentale, chacun ses armes. Pour l’instant, la cruauté mentale ne compte pas, c’est difficile à prouver, allez faire une main courante pour cruauté mentale, vous verrez.
On rappelle que la scène où Maria Schneider est forcée par Marlon Brando n’était pas dans le script, c’est Bertolucci qui en a eu l’idée, il en a parlé à Brando, et l’acteur s’est exécuté. Trois décennies après les faits, Maria, qui avait 19 ans lors du tournage, a déclaré :
« Même si ce que faisait Marlon n’était pas réel, je pleurais de vraies larmes. Je me suis sentie humiliée et, pour être honnête, un peu violée, à la fois par Marlon et par Bertolucci. »
Vanessa Schneider, du Monde, mais issue de Libération, avait ressorti l’affaire – pour une scène ! – dans un livre consacré à sa cousine Maria, arguant que cette scène avait détruit sa carrière. Sous Sarkozy, Vanessa avait suivi le futur président, et avait été fascinée par lui. Mais ne nous égarons pas.
Question : les scènes de violence psychologique dans les films vont-elles être éradiquées ? La gifle de Niels Arestrup dans Un prophète à Tahar Rahim vaudra-t-elle au film d’être banni à la Cinémathèque ?
Naturellement, les féministes ont plongé dans la faille. Chloé Thibaud, qui a écrit Désirer la violence (on sent l’ironie à deux balles), s’est indignée de la présentation du film par la Cinémathèque, pourtant honnête : « Un objet de scandale, considéré par Bertolucci comme le reflet de la révolution sexuelle vécue en Mai-68. Cinquante ans après sa sortie, le film conserve la même odeur de soufre tandis que la passion dévastatrice d’un couple d’inconnus interroge les rapports entre le sexe et la société. » Le Monde décrit l’attaque perfide et la délation qui a suivi :
« Ce film n’a qu’une seule et même odeur : la culture du viol », écrit en réponse la journaliste sur Instagram. Elle rend publics ses échanges d’e-mails avec l’institution patrimoniale, à laquelle elle demande le 8 décembre s’il y aura « une contextualisation de l’œuvre qui explique les violences sexuelles subies par Maria Schneider lors du tournage ». Le programmateur de la cinémathèque, Jean-François Rauger (par ailleurs contributeur au Monde), lui répond, alors que l’hypothèse d’une déprogrammation n’a jamais été évoquée par la journaliste, qu’« il aurait été impensable et absurde de ne pas projeter le film dans le cadre d’un hommage à Marlon Brando ».
Sur Instagram, les féministes du Collectif 50/50 deviennent hystériques, toujours sur Le Monde :
« La diffusion du Dernier Tango à Paris sans médiation appropriée (…) perpétue non seulement la culture du viol mais permet aussi, une fois de plus, d’asseoir le culte de l’auteur qui gangrène nos industries culturelles. »
Les mêmes folles pensent que la projection du Dernier Tango, qui a lieu en même temps que le procès de Christophe Ruggia, le réalisateur qui aurait agressé sexuellement Adèle Haenel, est une « provocation » ! Les voilà maîtres des horloges et de la justice… Elles ont donc eu la peau de la projo, mais on attend toujours leurs chefs-d’œuvre sur la toile.
Le maccarthysme des masculinophobes est toujours vivace, mais ça risque de ne pas durer. De l’autre côté de l’Atlantique, la bande à Trump déconstruit déjà le wokisme qui a gangréné et paralysé toute la société. Notre tour viendra.
Le boulot d’Anne-Cécile Mailfert est d’être féministe. Ce n’est pas très productif mais ça suffit pour se faire embaucher à France Inter, la radio intolérante de gauche financée par tous les Français, même de droite. Mais ça n’a pas l’air de déranger les gauchistes, qui crachent sur ceux qui les cofinancent. Anne-Cécile est à la tête de la coquille vide Osez le féminisme !, mais elle est surtout la compagne de Stéphane Sitbon, directeur des antennes et des programmes de France Télévisions. Ça, par contre, ça pèse. Ce délit d’initié ne dérange personne, on l’écoute quand même. Merci à notre courageux assistant d’avoir retranscrit ce discours victimaire, qui parle carrément de « crime » !
En toute subjectivité, avec vous Anne-Cécile Mailfert, et donc ce matin vous nous parlez d’un film que vous ne recommandez vraiment pas.
Ce week-end, à l’occasion d’une rétrospective Marlon Brando, la cinémathèque française projettera un Dernier Tango à Paris, un film de 1972, signé Bertolucci, dont une scène de viol a marqué le cinéma. Je me souviens avoir été sidérée lorsque je l’avais vu il y a des années, le corps de Marlon Brando, quinquagénaire, terrassant celui de Maria Schneider, 19 ans, sur le parquet du grand appartement parisien où se déroule l’intrigue et le beau visage de la jeune fille saisie d’effroi. Je n’arrivais pas à comprendre ce que je voyais, ou peut-être avais-je compris, rien n’est joué, tout a été imposé à Maria Schneider. Le réalisateur l’admettra sans gêne, la scène de viol n’existait pas dans le scénario et c’est avec l’acteur, au petit déjeuner, qu’ils l’ont préméditée. Ce crime, la caméra l’a capté sur l’instant, le public l’a consommé, l’industrie l’a récompensé. Un Dernier Tango à Paris montre cela, une jeune femme sacrifiée sur l’autel de la toute-puissance masculine.
Et il ne faudrait plus le montrer ce film, selon vous ?
En tout cas certainement pas comme ça. Sur le site de la Cinémathèque française, le film n’est présenté sans aucun contexte, il est question d’odeur de souffre, d’objet de scandale et d’une passion dévastatrice. Le viol n’est pourtant pas le reflet de la passion mais de la domination, si il y a une odeur qui s’en dégage, c’est celle du crime, et s’il est un scandale, c’est de faire passer nos viols pour de l’art et du divertissement. Alors qu’une commission d’enquête sur les violences sexuelles dans le cinéma est en cours à l’Assemblée nationale, impulsée par Judith Godrèche, alors que des actrices comme Adèle Haenel osent dénoncer, quitter un système qui les broie, pourquoi une institution publique comme la Cinémathèque française continue-t-elle d’honorer ces monuments d’un patriarcat cinématographique sans avertissement, sans un mot de mise en contexte, sans réflexion sur l’éthique de la création ? Ce sont les questions qu’a posées Chloé Thibaud, autrice de l’essai Désirer la violence, au directeur de la programmation Jean-François Roger.
Et il lui a répondu ?
Eh oui, et ses justification sont peut-être plus hallucinantes encore que la programmation elle-même : selon lui il aurait été impensable de ne pas projeter ce film dans le cadre d’un hommage à Marlon Brando, un acteur à la filmographie pourtant prolifique. Et depuis quand une scène de viol rend hommage à celui qui le commet ? Selon lui, il serait irrespectueux du talent de Maria Schneider de ne pas diffuser ce film, pourtant, lorsqu’elle est violée face caméra, cette jeune femme ne joue pas, plus tard elle ne pouvait plus voir ce film, elle l’avait dit, face caméra là aussi, s’il vous plaît. Non, si cette œuvre est le point culminant de sa carrière, c’est qu’il fut le linceul de ses rêves, comme l’écrira plus tard sa cousine, Vanessa Schneider, dans, Tu t’appelais Maria Schneider, un livre adapté au cinéma en juin dernier. L’excuse de l’art est alors le cache-sexe d’une tentative désespérée de garder la main sur cette puissance phénoménale du cinéma, celle de fasciner les imaginaires, il serait temps que la Cinémathèque vive avec son temps, car le mouvement est en marche, grâce aux femmes qui parlent, qui s’organisent, qui refusent de danser au rythme imposé par les puissants, et ce Dernier Tango-là, c’est elles qui vont le mener.
Pour en revenir à la scène d’amour animale, personne ne s’offusque quand des metteurs en scène gauchiste foutent des comédiens à poil sur scène qui s’enculent à la queue leu leu. Le Dernier Tango ne doit pas être réduit à cette scène qui fait dérailler tout le poulailler, c’est un film qui prend aux tripes sur un amour déchirant (incarné par le saxo de Gato Barbieri), aussi sublime qu’il est condamné. Ceux qui ont déjà aimé savent qu’il n’y a pas de morale en amour, comme à la guerre.