Nous diffusons seulement des extraits des lettres de Céline, alors âgé de 20 ans, à ses parents. Nous sommes en 1914. Les lettres complètes figurent sur le site sapaudia.org.
En seulement quatre lettres, on passe de la confiance à l’effroi.
En cette période d’avant-guerre, nous initions la publication de cette série de lettres de Louis-Ferdinand Céline à ses parents. Destouches a tout juste 20 ans ; il est engagé depuis deux ans au 12e régiment de cuirassiers et vient d’être nommé, en mai 1914, maréchal des logis — accédant ainsi au grade de sous-officier.
La lecture de Bagatelles n’a pas suffit à éviter le Massacre de 39-45 ; espérons que ces quelques lettres frappent au cœur la future chair à canon ; qu’elles leur ouvrent les yeux et refuse ainsi, par tous les moyens, la guerre à venir.
Dans le train – 10h – 31 juillet 1914
Le moral est bon après les adieux déchirants à Rambouillet. Tout le monde s’en va vers l’inconnu avec cependant une petite barre sur l’estomac qui donne à la société une petite teinte d’exaltation qui masque l’appréhension d’ailleurs bien légitime.
Cependant je suis persuadé que tout le monde fera son devoir. Jamais je n’ai vu le moral meilleur. L’avis de mobilisation générale doit être lancé à 12 heures.
Sorcy (Meuse) – 2 août 1914
On apporte qu’un éclusier a égorgé un Allemand au moment où il voulait faire sauter l’écluse.
Aussitôt que j’aurai mes voitures, je m’embarquerai pour Raulecourt avec mon escouade d’escorte, l’escadron y est déjà. Je crois que nous serons victorieux, ce serait très bien car seules les victoires indécises laissent des morts.
Ne vous faites pas de bile, je vous assure que je ne m’en fais pas. Les officiers sont à la hauteur et le pitaine est épatant de sang-froid.
Au moment où je t’écris les batteries à cheval du 27e d’Artillerie passent au grand trot par le village où l’émoi est grand.
Néanmoins tout le monde a confiance.
Mesnil sous les cotes – 12 août 1914
Chez nous, cela devient épouvantablement dur. Les Allemands opposent une résistance désespérée, ils ont repris Mulhouse. De la Brigade d’Infanterie à 5000 h, on a pu reconstituer une compagnie de 200 hommes.
L’artillerie allemande ne vaut rien mais les mitrailleuses font un travail désastreux.
Hier nous avons vu les Allemands pour la première fois, ils n’ont pas pris le combat — malheureusement. À minuit, réveil comme d’ailleurs presque tous les jours, car on combat en général au petit jour, puis un formidable raid de 30 km au trot et au galop à travers champs [et tous obstacles add.] et nous tombons sous le feu des batteries à cheval allemandes, heureusement rien ne porte [ou très peu add.], tout à coup les nôtres d’Orléans se mettent en batterie et après 4 h 1/2 exactement les Allemands se taisent. Des Chasseurs à pied veulent prendre les batteries allemandes d’assaut mais doivent battre en retraite devant des forces supérieures et voilà que pendant leur retraite ils tombent sur 4 mitrailleuses allemandes qui en fauchent 200 en 2 minutes exactement à 700 m de nous. C’est affreux !
Nous chargeons à leur poursuite mais comme les Allemands fuient pour nous attirer dans leurs tranchées, [le colonel refuse le combat add.] et nous regagnons nos cantonnements afin de ne pas faire comme le 7e et le 10e cuir de Lyon qui ont été complètement anéantis à Mulhouse [dans les retranchements où ils ont suivi l’ennemi add]. Pour l’instant nous sommes aile droite d’une armée de 17 Corps d’armée qui attend de pied ferme l’Armée allemande qui débouchera du Luxembourg pour contourner Liège.
Ce sera probablement la plus grande bataille que l’on ait jamais vue il est à prévoir qu’elle durera 3 ou 4 jours.
Après l’engagement nous reformons le convoi qui suit le régiment il s’ensuit des situations et des scènes tragiques. Nous ramassons des petits enfants abandonnés, des bêtes [de toutes sortes add.], des blessés et surtout des espions qui infestent la frontière et qui revêtent les formes les plus diverses : curé, femmes, automobiles. Souvent sur les collines qui nous environnent on surprend la nuit des signaux lumineux qui n’ont rien de catholique. En un mot pas une minute de repos, des sommes de 2 ou 3 heures maximum. Il faudra que les Allemands abandonnent complètement les Russes et avec les Autrichiens tournent tous les efforts vers nous. La partie sera dure mais nous vaincrons j’en suis persuadé.
Nous voudrions cependant que cela finisse au moins en 2 mois car une campagne l’hiver serait effrayante.
Moranville – 17 août 1914
Depuis 2 jours il pleut à verse, tout est détrempé. Les chevaux couchent en partie au bivouac et font aussi preuve d’un courage sans limite, je nourris tant bien que mal ma pauvre jument et chaque fois qu’elle m’aperçoit elle vient vers moi du plus loin pour me flairer et voir si je ne détiens pas l’avoine tant désirée. Je barbote 1 musette par-ci par-là au hasard. Je tiens à elle plus qu’à la prunelle de mes yeux et je crois que je descendrais sans pitié celui que je verrais la maltraiter. Depuis que je suis en campagne, je vois que les cavaliers qui ont eu la vie sauve le doivent à la rapidité de leurs chevaux.
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