Les États-Unis et Cuba vont tenir mercredi une première série d’entretiens officiels de haut niveau pour sceller la normalisation de leurs relations et tourner la page de plus d’un demi-siècle d’hostilité et de défiance.
Cinq semaines après l’annonce de ce rapprochement historique par les présidents Barack Obama et Raul Castro, les délégations doivent se réunir à huis clos pendant deux jours à La Havane. Au menu des discussions, la traditionnelle question des flux migratoires, déjà objet de fréquentes tractations entre les deux pays, mais surtout la définition du programme du rétablissement de leurs relations diplomatiques, rompues depuis 1961.
La délégation américaine sera dirigée par la sous-secrétaire d’État pour l’hémisphère occidental, Roberta Jacobson, alors que du côté cubain, la directrice des États-Unis au ministère des Affaires étrangères, Josefina Vidal, mènera les débats.
Le déplacement de Mme Jacobson permettra des changements, mais « il ne faut pas attendre de miracles soudains », estime l’analyste Peter Schechter, du Centre de recherches latino-américain du Conseil atlantique, un centre d’études américain. D’après lui, ces discussions pourraient avancer vers « le retrait de Cuba de la liste des pays soutenant le terrorisme, ce qui n’est pas rien, car cela l’empêche d’accéder aux institutions financières » internationales.
« On ne se déplace pas en espérant résoudre toutes les questions lors de ces premiers pourparlers, [mais] nous espérons au-delà une accélération du rythme des engagements […] dont une grande partie dépend du gouvernement cubain », a commenté pour sa part un responsable du département d’État. Le retrait de Cuba de la liste des pays soutenant le terrorisme est déjà en cours, a-t-il ajouté, tout en précisant qu’il s’agit là « d’un processus indépendant » des discussions de mercredi et jeudi.
Un bol d’air
La semaine dernière, Washington a déjà fait un grand pas en levant une série de restrictions commerciales et de voyages, et en assouplissant les transferts de fonds de migrants cubains, accordant un bol d’air à de nombreuses familles de l’île. En revanche, le blocus imposé à l’île depuis 1962 par le géant américain restera pour l’heure en vigueur. Il ne peut être levé que par le Congrès, actuellement dominé par des républicains rétifs à tout retour en arrière.
De son côté, La Havane a récemment consenti à libérer 53 prisonniers politiques figurant sur une liste remise par les États-Unis lors des pourparlers secrets menés pendant un an et demi sous l’égide du Canada et du pape François.
« Il revient maintenant au gouvernement cubain de faire en sorte de faciliter la libéralisation du commerce et des voyages à travers le détroit de Floride », indique dans un article l’analyste Arturo Lopez-Levy, du Centre d’études globales de l’université de New York.
Depuis l’annonce du 17 décembre, cette réunion programmée de longue date et initialement prévue autour de thèmes migratoires a vu son ordre du jour élargi à diverses questions touchant notamment au rapprochement et à la réouverture d’ambassades à La Havane et Washington. Depuis 1977, les deux pays abritent des sections d’intérêt dépourvues d’ambassadeurs.
« Les conversations vont devoir se concentrer initialement sur les questions les plus urgentes, pour établir des relations diplomatiques, et ensuite avancer vers des sujets plus centraux », anticipe M. Schechter. Parmi ceux-ci, il cite l’assouplissement des restrictions aux libertés individuelles à Cuba, l’avenir de la base américaine de Guantánamo, et, peut-être le plus compliqué, les compensations pour les biens américains nationalisés par Fidel Castro dans les années 60.
Un absent
Le père de la Révolution reste à 88 ans le grand absent de cette réconciliation qui fera date. Il n’est pas apparu en public depuis plus d’un an, et n’a pas commenté ces événements historiques. Un silence persistant qui a frappé les esprits et alimenté de nouvelles rumeurs à Cuba et à l’étranger sur une dégradation de son état de santé.
Mme Jacobson restera sur l’île jusqu’à vendredi et tiendra ce jour-là une conférence de presse après un déjeuner avec des dissidents. Ceux-ci n’ont pas caché leur inquiétude face à ce virage diplomatique, les États-Unis ayant constitué depuis des décennies leur principal soutien et source de financements.
Par ailleurs, une délégation de six parlementaires américains, menée par le sénateur démocrate Patrick Leahy, doit boucler lundi une visite de deux jours sur l’île consacrée aux perspectives de coopération. Ils ont aussi rencontré dimanche une quinzaine de dissidents.