On a détruit l'école en renonçant à redresser les conduites et les pensées sous couvert de bienveillance. Cette même idéologie est sur le point de détruire la société en érigeant le culte narcissique de la petite différence en règle sous couvert de tolérance.
Triste spectacle.— René Chiche (@rene_chiche) November 11, 2019
C’est le cri d’un révolté. Professeur de philosophie en lycée et membre du Conseil supérieur de l’éducation (CSE), René Chiche publie un ouvrage où son attachement à l’institution scolaire se mêle à une rage sourde face à son état de ruine. Dans La Désinstruction nationale (éditions Ovadia), cet homme engagé déplore que le niveau de ses élèves soit désormais proche du néant. La faute à l’empilement des réformes, aux pressions de la hiérarchie, à la dégradation des programmes ou encore à la fragilisation des Humanités, entre autres. Entretien.
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Ce qui a déclenché mon envie d’écrire, c’est tout d’abord le niveau inacceptable atteint par mes élèves. En classe, j’ai face à moi des élèves qui sont le produit de l’école : ils ont passé 15 ans en salle de classe et se retrouvent pourtant dans un état dramatique de quasi-illettrisme.
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Il y a des causes qui sont très connues, comme par exemple la diminution du nombre d’heures de français et de philosophie, les modifications successives dans les programmes... Mais il y a quelque chose de plus fondamental derrière cette situation : le triomphe des Sciences humaines sur les Humanités. L’usage de langue, c’est l’instrument de la connaissance et de la pensée. Or, cet instrument ne peut s’acquérir comme tel que par la lecture de classiques, de grands auteurs. Pendant les années 70, l’université a commencé un processus de destruction de cet héritage pour promouvoir l’étude d’auteurs comme le psychanalyste Jacques Lacan, par exemple. Résultat : les professeurs, une fois en classe, ont ensuite développé une capacité à déployer un discours complètement artificiel sur des auteurs classiques qu’ils n’ont jamais lus. N’ayant que peu intégré cette culture classique, ils n’ont d’autre choix, devant les élèves, que de proposer autre chose. Ce sont les conséquences de ce mouvement que mon témoignage veut illustrer.
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Je dois l’avouer, mes élèves sont très gentils... Mais ils ne savent, en général, rien. C’est-à-dire qu’ils ont été portés, pendant toute leur scolarité, dans un système qui ne leur a pratiquement rien donné, rien transmis. Ils sont donc une matière première idéale pour tout type de manipulations. Je ne dis pas que tout cela a été fait pour en arriver là, mais c’est un effet que je constate. Il suffit de lancer n’importe quel sujet pour observer qu’ils n’ont aucune distance critique.
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Il y a quelque chose de très grave : Internet, par Wikipédia notamment, a donné l’illusion que le savoir pouvait se dispenser de la lecture. Comme si savoir une chose pouvait se résumer au fait d’en avoir vaguement entendu parler. L’école, finalement, au lieu de faire ce qu’elle a toujours fait, c’est-à-dire former l’esprit, se cantonne désormais à donner des informations partielles en disant qu’il s’agit là de « savoirs ». Mais ce n’est pas du savoir, ça ne forme pas l’intelligence ! Ce qui forme l’intelligence, ce sont des exercices comme la dissertation par exemple. Or, aujourd’hui, on constate que de plus en plus d’élèves arrivent en Terminale sans en avoir fait une seule de toute leur scolarité. Il n’est donc pas étonnant qu’ensuite, quand on leur demande d’exprimer, ils ne savent pas le faire. Et ça donne les copies que je lis... L’école ne forme plus à penser, alors les élèves se contentent de croire.
Lire l’entretien entier sur marianne.net
René Chiche chez Pascal Praud en juillet 2019 :
Avant La Désinstruction nationale de René Chiche, il y a eu La Fabrique du crétin de Jean-Paul Brighelli) et La Déséducation nationale d’Anne-Sophe Nogaret, elle aussi prof de philo :