« Au téléphone depuis sa cellule de la division 3 à Fresnes (Val-de-Marne), Arnaud Mimran discute avec un ami détenu à Fleury-Mérogis (Essonne) : “Je te dis franchement, ici en vérité c’est la meilleure taule, on peut dire ce qu’on veut, hein.” La conversation est interceptée par la police en novembre 2017. »
Ainsi commence l’article du Monde daté du 12 avril 2018 (pour ses abonnés) à propos de deux détenus de l’affaire de la taxe carbone dans la prison de Fresnes, 2 200 prisonniers pour 1 700 places. Arnaud Mimran et Fabrice Touil, le premier condamné à huit ans de prison ferme, le second étant passé par Fresnes en provisoire en attendant son procès, ont chacun à leur façon approché le directeur de la division 3, Khalid El Khal.
Wikipédia relate cette affaire de corruption :
« Le 26 mars 2018, après plusieurs plaintes de détenus de la prison de Fresnes, sept hommes, dont un directeur et un surveillant du centre, ainsi que deux détenus et un aumônier de prison juif, ont été placés en garde à vue. Ils sont soupçonnés par les enquêteurs de la Police judiciaire de Paris et de Versailles de participer à un réseau de corruption. Les deux corrupteurs, dont Arnaud Mimran, auraient touché de l’argent en échange de traitements de faveur “accordés à des détenus majoritairement membres de la communauté juive”. Une information judiciaire a été ouverte. »
Mimran affirme, dans ses conversations téléphoniques écoutées, qu’il obtient la visite de putes dans ses parloirs, qu’il peut passer tranquillement les fouilles avec un téléphone, bref, qu’il mène une vie de pacha en taule, comme les Italo-Américains des Affranchis de Scorsese. Tout le monde se souvient de la scène où les truands ouvrent des caisses de homard, de côtes de bœuf et se font des bouffes alléchantes arrosées de pinard italien ou de whisky.
Mimran joue donc les affranchis, c’est-à-dire qu’il profite d’un grand espace de liberté en prison, ce qui est pour le moins paradoxal. Et qu’est-ce qui lui permet de se vanter ? L’argent. N’oublions pas que Mimran et Touil sont accusés d’avoir détourné plusieurs dizaines de millions d’euros dans l’arnaque de la TVA « carbone ». Ils réussissent donc, d’après les vantardises de Mimran, à obtenir des avantages catégoriels (comme de bons syndicalistes) dans l’enceinte même de la prison.
« Khalid El Khal, 49 ans, est soupçonné d’avoir usé de sa fonction pour rendre plus agréable la détention de certains détenus qui ont pour la plupart en commun de faire partie de la communauté juive et d’être impliqués dans des escroqueries financières. Plus grave encore, les enquêteurs pensent qu’il a tenté d’influer sur des décisions de l’administration pénitentiaire et donné des conseils judiciaires en échanges de menues rétributions en espèces. »
Arnaud Mimran peut téléphoner tranquillement (mais ça n’est pas un vraiment privilège dans les prisons d’aujourd’hui), il reçoit des putes au parloir, mais il y a plus grave que ces petits avantages. Fabrice Touil, lui, toujours d’après les écoutes et les interrogatoires, a utilisé toute son influence pour faire plier la justice.
« L’autre homme qui l’a fait chuter est lui aussi un acteur de la fraude à la TVA sur le marché du carbone. Joueur de poker invétéré, Fabrice Touil a fait de la détention provisoire à Fresnes où il a connu Khalid El Khal et attend, depuis sa remise en liberté il y a deux ans, la tenue de son procès. Il est soupçonné avec deux de ses frères, Richard et Mike, d’avoir escamoté plusieurs dizaines de millions d’euros de TVA. Depuis sa sortie de prison, il a rencontré régulièrement l’agent de la pénitentiaire sur les Champs-Élysées. A chaque rendez-vous, ce dernier prenait soin de couper son téléphone. Il ignorait que sa voiture avait été sonorisée par la police.
Lors de ces rencontres, Fabrice Touil s’inquiète de l’évolution de ses affaires judiciaires. Il doit encore s’acquitter d’une importante caution de deux millions d’euros et redoute de devoir retourner en détention, mais il a trouvé chez Khalid El Khal une oreille compatissante. Le directeur de la division 3 de la prison de Fresnes critique en effet “l’acharnement” du juge Renaud Van Ruymbeke contre son ami, lui donne quelques conseils pour “embrouiller” tel juge de la détention et des libertés, l’encourage à ne pas verser l’intégralité de sa caution et insulte le parquet : “Ils ont du poids [sur les juges de la détention et des libertés] ces fils de pute.” »
Révélation dans la révélation, El Khal et Touil évoquent l’arnaque au faux Le Drian, où des escrocs « venus d’Israël » ont imité la voix de l’ex-ministre de la Défense de François Hollande pour soutirer de l’argent à de riches personnalités lors de négociation d’otages ! El Khal touche du cash pour ses conseils, plusieurs fois 5 000 euros, et propose même à Touil de changer d’établissement pour s’occuper d’un des frères Touil en cavale, au cas où ce dernier se ferait pincer... La totale !
Avec un humour tendancieux et un art consommé du droit, l’avocat de Fabrice Touil explique qu’« il n’existe aucun pacte de corruption entre une personne mise en examen libre et un directeur de prison. Que pourrait-il concrètement lui apporter hormis lui prodiguer des conseils, ce qui n’entre pas sous le coup de la loi pénale ? »
L’agent de la pénitentiaire se défend, lui, avec un sens aigu de l’humanisme :
« Ma méthode est basée sur le respect de la dignité humaine, le dialogue, la croyance en la rédemption. Toutes les communautés de France peuvent vivre ensemble. C’est la raison pour laquelle les détenus de toutes confessions se sentent mieux en troisième division. »
Son avocat évoque « un règlement de comptes », et tout cela donne une confiture d’embrouilles dans laquelle personne, de l’administration pénitentiaire à la justice, ne retrouve ses petits. Tout le monde intoxique tout le monde, les truands manipulent des fonctionnaires non pas cupides mais naïfs, qui croient à la rédemption, l’honnêteté et toutes ces salades.
On en apprend de bonnes aussi sur l’aumônier israélite des prisons de la région, Philippe Chelly. On dirait qu’avec lui les intérêts communautaires passent avant le respect des commandements de Dieu : Tu ne voleras point, Tu ne mentiras point, Tu ne recevras pas de putes au parloir, etc. Chelly invoque carrément l’argument de la famine et de l’antisémitisme – la dissuasion nucléaire ! – pour expliquer sa comptabilité glandilleuse :
« L’affaire a aussi valu au responsable régional de l’aumônerie israélite, Philippe Chelly, d’être entendu en garde à vue sans avoir été mis en cause jusqu’ici. Les enquêteurs s’intéressaient notamment à la comptabilité de l’association israélite d’entraide et de solidarité qu’il dirige et qui vient en aide aux détenus. Il ne nie pas des relations professionnelles avec M. El Kahl, explique avoir respecté toutes les règles encadrant la fourniture de colis casher aux détenus et s’interroge sur les relents antisémites à l’œuvre dans cette affaire. “La communauté juive est la moins bien logée en milieu carcéral. Ça oblige l’administration à s’adapter, indique-t-il. A cause de cette affaire, il y a aujourd’hui des détenus qui n’ont pas de quoi se nourrir.” »
La chute est belle, avec une citation d’un pénaliste parisien : « Ils ont la planche à billets. Si vous avez une faille, ils vous emmènent dans la nasse ». C’est ce qui est arrivé au grand flic Neyret à Lyon...
Apportons notre petite pierre à cette affaire, très suivie par Mediapart, qui a entre autres rapporté que Netanyahou, le dirigeant israélien corrompu, avait reçu 200 000 dollars d’Arnaud Mimran. L’affaire de la taxe carbone ? Une affaire qui va loin, très loin, et qui remonte haut, très haut. Avec plein de morts, comme dans le film Carbone d’Olivier Marchal, qui parle de truands juifs et de flics moyennement intègres, mais pas d’agents du renseignement ni de mafias organisées qui planifient des extorsions et des éliminations ciblées.
On rappelle que les services du ministre de l’Économie de Sarkozy à l’époque (2007-2011), Christine Lagarde, savaient qu’une énorme « arnaque à la tève » était en cours. Mais inexplicablement, écrit Aline Robert dans son livre Carbone connexion, sorti en 2012 et que nous avions lu très attentivement, les services de l’État ont laissé courir. De là à imaginer une passivité coupable, ou une coproduction...