Il y a désormais deux sortes d’articles sur le coronavirus : les articles alarmistes, et les articles rassurants.
Mais ces deux genres ne sont pas incompatibles : il suffit de comprendre que l’épidémie, quelle que soit sa dangerosité, est exploitée politiquement. Ainsi, la critique peut porter sur la désinformation ou la surinformation politique (remplacer la peur sociale ou la contestation par la peur du virus) tout en gardant un œil statistique et scientifique (si possible) sur le développement de la maladie.
Cela ne nous dit pas si la pandémie, puisque l’OMS parle désormais de pandémie, est plus dangereuse que les grippes classiques, qui font beaucoup plus de morts (mais sur une saison),
Ce qui reste, comme toujours, c’est la défiance envers un gouvernement qui a montré ses talents de désinformateur depuis trois ans ou presque. Macron a lancé la psychose le 12 mars 2020 au soir : quelle est la part de politique et la part de principe de précaution dans cette annonce grandiloquente, c’est ça la vraie question. Une question qui devient : peut-on croire ce président qui crie au loup alors qu’il était fortement contesté ?
Depuis quelques semaines, mais surtout ces derniers jours, j’ai eu plusieurs discussions au sujet du coronavirus qui m’ont convaincu que la plupart des gens ne prennent pas du tout la mesure du problème. J’ai donc résolu d’écrire un billet pour expliquer pourquoi cette épidémie est une crise majeure que nous devrions prendre très au sérieux, ce qui malheureusement n’a pas du tout été le cas jusqu’à présent, notamment en France où selon moi le gouvernement a été d’une incompétence rare. Je vais rapidement passer en revue les choses qu’on entend le plus souvent de la part des gens qui pensent qu’il n’y a pas de raison de paniquer et qui sont d’après moi complètement à côté de la plaque. J’ai vraiment l’impression que la plupart des gens sont très mal informés au sujet de cette épidémie et qu’ils répètent des arguments qui sont totalement fallacieux parce que c’est ce que les gens censément intelligents disent sur les plateaux de télévision. Je crois en effet que, dans cette histoire, les médias n’ont une fois de plus pas fait leur travail correctement.
Je précise que je n’ai aucune compétence particulière en épidémiologie ou en médecine, mais par contre je sais compter et raisonner à peu près correctement, ce qui malheureusement semble ne pas être le cas de beaucoup de gens qui sont actuellement en situation de responsabilité. Il est tout à fait possible que j’ai fait des erreurs, auquel cas je vous invite à me les signaler, afin que je puisse les corriger au plus vite. Ce serait d’autant moins surprenant que j’ai écrit cet article dans l’urgence, en grande partie au milieu de la nuit, donc il n’est pas du tout impossible que des erreurs s’y soient glissées. Mais je donne systématiquement les sources que j’ai utilisées et j’ai mis en ligne le code que j’ai utilisé pour mes calculs/graphique dans un répertoire sur GitHub, donc chacun peut facilement tout vérifier. De cette façon, si j’ai fait une erreur, on peut espérer qu’elle sera détectée rapidement.
Mais si je n’ai pas de compétence particulière en épidémiologie ou médecine, ce n’est pas le cas de la logique, donc en particulier je sais que l’argument d’autorité est un sophisme. Par conséquent, si quelqu’un allègue que je dis n’importe quoi au motif que je ne suis pas un spécialiste sans démontrer que j’ai commis une erreur en citant ses sources et détaillant son raisonnement, il n’y a absolument aucune raison de prendre ça au sérieux. C’est d’autant plus vrai que, jusqu’à présent, on ne peut pas dire que les experts se soient illustrés par leur prescience. Par exemple, le 21 janvier, un chercheur de l’Inserm affirmait à la télévision « qu’il ne va pas y avoir d’épidémie en France parce qu’on est préparé ». Je ne veux pas lui jeter la pierre, ça arrive à tout le monde de se tromper, mais si vous voulez me convaincre que j’ai tort, il va falloir faire plus que vous contenter de m’expliquer que je ne suis pas un expert.
Non, ce n’est pas « juste une grippe », le taux de mortalité est nettement plus élevé
Même si c’est de moins en moins le cas, on a entendu beaucoup de gens prétendre que le coronavirus était « juste une grippe », donc qu’il n’y avait pas de quoi fouetter un chat et aucune raison de paniquer. Or, même si on n’aura pas d’estimation du taux de mortalité précise avant la fin de l’épidémie, il est clair depuis un moment qu’il est beaucoup plus élevé que pour la grippe saisonnière, notamment chez les personnes âgées mais pas seulement :
Ce graphique est basé sur les données chinoises et montre les taux de mortalité par groupe d’âges obtenus en divisant le nombre de morts par le nombre de gens ayant été testés positif au coronavirus. Comme beaucoup de gens l’ont noté, c’est un estimateur biaisé du taux de mortalité, car le dénominateur est probablement sous-estimé, du fait que beaucoup de gens qui ont été contaminés n’ont pas été testés parce qu’ils étaient asymptomatiques ou que leurs symptômes n’étaient pas suffisamment graves.
C’est tout à fait exact, mais ce que les gens qui disent ça oublient généralement, c’est qu’il existe un autre biais qui va dans l’autre direction. En effet, tant que l’épidémie n’est pas derrière nous, il y a des gens qui vont mourir mais qui ne sont pas encore morts. Cela tend à sous-estimer le numérateur de l’estimateur du taux de mortalité, donc à sous-estimer celui-ci. Une équipe d’épidémiologistes à l’Université de Berne a récemment publié un papier qui propose une estimation des taux de mortalité par groupe d’âges qui essaie de corriger ces deux biais simultanément pour obtenir des chiffres plus fiables. Voici le tableau qui résume les résultats de leur étude :
Si vous regardez la dernière ligne du tableau et que vous comparez ça avec le graphique que j’ai reproduit plus haut, qui donne les taux de mortalité sans correction, vous pouvez constater que, dans la plupart des cas, cet ajustement aboutit à un taux de mortalité plus important qu’en l’absence de correction. En d’autres termes, pour la plupart des groupes d’âges, le biais qui conduit à une sous-estimation du taux de mortalité domine celui qui conduit à une sous-estimation.
Pour autant, ça ne veut pas dire que les taux de mortalité dans cette étude sont exacts, car ce ne sont que des estimations qui reposent sur des données imparfaites. Encore une fois, tant que l’épidémie n’est pas derrière nous et qu’on ne peut pas estimer précisément le nombre de personnes qui ont été contaminées en faisant des prélèvements sur un échantillon aléatoire de la population après que tous les décès provoqué par la maladie n’ont pas eu lieu, il est impossible de connaître précisément le taux de mortalité. Mais surtout le taux de mortalité n’est pas une caractéristique intrinsèque d’un pathogène, ce qui nous amène à un autre point important.
Le taux de mortalité n’est pas une caractéristique intrinsèque du virus, mais dépend de tout un tas de facteurs et notamment de l’état du système de santé
Grâce à une équipe de l’université de Johns Hopkins aux États-Unis, qui compile les données sur les progrès de l’épidémie dans le monde entier et les met en ligne sur GitHub, il est possible d’apprendre pas mal de choses sur l’épidémie. Si on regarde les courbes d’évolution du taux de mortalité par pays, on constate que non seulement il y a des différences importantes entre les pays, mais aussi que, même à l’intérieur du même pays, le taux de mortalité peut changer assez considérablement au cours du temps :
J’ai fait commencer le graphique au 28 février, parce qu’avant ça il y avait très peu de cas diagnostiqués dans beaucoup de pays du groupe que j’ai choisi, donc le taux était dominé par le hasard. (Je ne pense pas que ce soit l’explication pour l’Iran, où à un moment le taux de mortalité était supérieur à 20 %, car l’épidémie a frappé ce pays plus tôt et donc il y avait beaucoup de cas diagnostiqués à une époque où ils étaient encore très rares dans la plupart des autres pays du monde en dehors de la Chine.) Notez en particulier que, depuis une quinzaine de jours, le taux de mortalité en Italie semble augmenter de façon inquiétante, puisqu’il est passé d’un peu plus de 2 % à plus de 6 % sur la période.
C’est peut-être en partie parce que, comme je l’ai déjà noté, il se passe un certain temps entre le moment où quelqu’un contracte le virus et le moment où il meurt, mais je doute que ce soit la seule explication. D’autant plus que, avec la croissance exponentielle que connaît l’épidémie dans la phase actuelle, la proportion de gens ayant contracté le virus récemment parmi les cas diagnostiqués a sans doute beaucoup augmenté ces derniers jours, ce qui tend au contraire à pousser le taux de mortalité vers le bas, puisque toutes choses égales par ailleurs ça veut dire que le dénominateur augmente plus vite que le numérateur. Il y a donc probablement une autre raison pour laquelle le taux de mortalité augmente en Italie, mais j’y reviendrai plus loin.
Pour une part, ces différences entre pays sont dues à des facteurs démographiques, notamment la distribution par âge qui varie beaucoup selon les pays. Par exemple, 22 % de la population a 65 ans et plus en Italie, alors que c’est le cas de seulement 14 % de la population en Corée du Sud. Comme nous l’avons vu, le taux de mortalité augmente très rapidement avec l’âge, donc une telle différence de répartition de la population par âge contribue probablement de façon significative à la différence de taux de mortalité entre l’Italie et la Corée du Sud. Outre la distribution par âge, il existe beaucoup d’autres facteurs qui peuvent aussi contribuer aux différences de taux de mortalité entre pays, comme l’état de santé général de la population, qui dépend lui-même de facteurs comme le niveau de richesse et les comportements de la population.
Mais dans le cas de l’épidémie de coronavirus, le facteur le plus important, c’est probablement l’état du système de santé. Je pense que c’est notamment celui-ci qui explique pourquoi, même dans un pays donné, le taux de mortalité peut changer de façon très sensible. Encore une fois, il est très important de comprendre que le taux de mortalité d’un pathogène n’est pas une caractéristique intrinsèque de celui-ci, mais dépend de tout un tas de facteurs dont l’état du système de santé est sans doute le principal. Les gens demandent souvent quel est le taux de mortalité du coronavirus, comme si c’était un nombre fixe qui ne dépendait que des caractéristiques du virus, mais à strictement parler cette question n’a pas beaucoup de sens.
À l’heure actuelle, en Corée du Sud, où beaucoup plus de tests sont réalisés qu’en Occident et donc où le dénominateur est moins sous-évalué, le taux de mortalité est d’environ 0,8 % d’après les données. Il est tout à fait possible que, quand les malades qui en ont besoin ont accès à un lit en soins intensifs, le taux de mortalité soit inférieur à 1 %, même si selon toute vraisemblance il reste largement supérieur à celui de la grippe saisonnière dans les mêmes circonstances. Mais si tous les patients dont les symptômes sont les plus graves n’ont pas accès aux ressources dont ils ont besoin, lit en soins intensifs, respirateur, personnel avec les qualifications adéquates, etc. (comme il semble que ce soit de plus en plus le cas en Italie), alors il ne fait guère de doute que le taux de mortalité sera bien plus élevé que ça et que beaucoup de gens mourront. Ce qui m’amène à un autre point important.
Le problème avec le coronavirus n’est pas seulement le taux de mortalité, c’est aussi la vitesse à laquelle il se propage et la proportion de cas qui nécessitent une hospitalisation en soins intensifs
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