Après avoir annoncé, lors de son entretien télévision du 14 juillet, la prochaine levée de l’état d’urgence, le président François Hollande, se contredisant, l’a prolongée le lendemain de trois mois. Certes, sur le court terme, il réagissait à un attentat commis à Nice, mais sur le long terme, il avançait un peu plus dans la transformation de l’État. Contrairement aux apparences, l’enjeu n’est pas de lutter contre le terrorisme, mais de passer d’un pouvoir issu du Peuple et placé sous son contrôle à un pouvoir discrétionnaire agissant pour le compte et au service des États-Unis.
Avant que le président François Hollande en annonce l’abandon, le « Projet de loi constitutionnelle de protection de la nation [1] », voulait introduire deux modifications dans la Constitution : l’insertion d’un article 36-1 relatif à l’état d’urgence et une modification de l’article 34, y insérant une possibilité de déchéance de la nationalité de Français condamnés pour terrorisme.
De par l’inscription de l’état d’urgence et de la déchéance de nationalité, la Constitution est renversée. Elle n’enregistre plus des droits, mais leur abolition. Elle ne pose plus de garde-fous au pouvoir, mais devient l’expression de sa toute puissance. Si la volonté d’introduire l’état d’urgence dans la Constitution s’inscrit bien dans un contexte de démantèlement de l’État de droit, elle ne se résume pas à cette action. Elle nous renseigne sur la forme actuelle de l’État national et plus précisément sur celle de la France. La constitutionnalisation de l’état d’urgence est le symptôme d’une forme d’organisation politique qui inscrit, dans la Constitution, son renoncement à tout un pan de la souveraineté nationale. En effet, l’insertion, de l’état d’urgence et du démantèlement des libertés dans le texte fondamental, témoigne de l’abandon de toute autonomie de la politique intérieure vis-à-vis de l’ordre international de « la lutte contre le terrorisme. »
La double inscription constitutionnelle, à la fois de sa subordination vis-à-vis de la première puissance mondiale et de l’exercice d’un pouvoir sans limite sur ses propres populations, témoigne des deux faces actuelles de l’État national.
Un « régime civil de crise »
Le projet de loi constitutionnelle, déposé à l’Assemblée nationale le 23 décembre 2015, prévoyait d’ajouter à la Constitution un article 36-1 sur l’état d’urgence. Il aurait été placé aux côtés de l’article 36 qui organise « l’état de siège » et répond à une crise grave, guerre ou insurrection armée. L’État de siège permet le transfert des pouvoirs civils de police à l’armée, ainsi que la création de juridictions militaires.
Le texte fondamental contient également l’article 16 qui permet au président de la République de s’octroyer des « pouvoirs exceptionnels », lorsqu’une menace « grave et immédiate » pèse sur « les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux ». Il n’a connu qu’une seule mise en application, pendant la guerre d’Algérie, lors du « putsch des généraux ». Les pleins pouvoirs avaient alors été accordés au président De Gaulle, de fin avril à fin septembre 1961.
Le président Hollande a déploré que ces deux articles ne soient pas « adaptés à la situation que nous rencontrons », contexte qu’il qualifie de « terrorisme de guerre ». Puisque « le fonctionnement régulier des pouvoirs publics n’est pas interrompu et il n’est pas concevable de transférer à l’autorité militaire des pouvoirs [2] », l’état de siège ne peut être appliqué, de même les pleins pouvoirs, par nature temporaires, ne peuvent répondre à une guerre de longue durée contre le terrorisme. Dès lors, afin d’agir « contre le terrorisme de guerre [3] », il estime nécessaire d’instaurer un « régime civil de crise » et de l’inscrire dans la Constitution.
Cet « autre régime constitutionnel » produit une mutation politique. Les pouvoirs d’exception sont habituellement nommés comme tels parce qu’ils sont censés n’être que rarement utilisés et qu’ils sont exorbitants. Cela ne serait plus le cas dans « un régime civil de crise » où ils feraient partie de la quotidienneté. Alors, les nouvelles prérogatives ne peuvent plus véritablement être considérées comme des pouvoirs d’exception, en ce sens qu’elles font partie du régime mis en place par le texte fondamental.
Un contexte de démantèlement de l’État de droit
La volonté de placer dans la Constitution le dispositif de l’état d’urgence ne répond pas, comme l’affirme le gouvernement, à un souci de sécurité juridique. La jurisprudence du Conseil d’État, comme celle du Conseil constitutionnel ou de la Cour européenne des droits de l’Homme, ont parfaitement validé les mesures de l’état d’urgence, telles que prévues dans la loi de 1955.
Le projet présidentiel d’introduire l’état d’urgence dans la Constitution est étroitement lié à la loi du 20 décembre 2015 qui l’a prolongé pour trois mois. Il est aussi en relation avec la loi de réforme pénale « renforçant la lutte contre le terrorisme et le crime organisé, » promulguée le 3 juin 2016. Celle-ci installe, dans la norme, des procédures faisant normalement partie de l’état d’exception, telles les perquisitions de nuit et des assignations à résidence. La loi du 20 décembre 2015, quant à elle, ne se contente pas de prolonger l’état d’urgence, mais étend considérablement son champ d’application.
Ces deux législations et le dernier projet de loi forment un ensemble cohérent qui, en installant un état d’urgence permanent, a pour objet de s’attaquer frontalement aux libertés privées et publiques. En effet, le projet présidentiel supprime toute sécurité juridique. Il a pour objet, non seulement de constitutionnaliser l’état d’urgence, mais surtout de permettre, dans ce cadre, de nouvelles atteintes aux libertés.