On entend que l’État français aurait interdit aux hôpitaux d’attaquer une banque ? On nous parle de franc suisse, de dettes de 500 millions, de panique et d’une centaine d’hôpitaux dans une situation financière « très délicate ». Qu’est-ce que ça veut dire ? Comment tout cela est-il arrivé ? Mais où est donc or ni car ? Enquête.
Comment en est-on arrivé là ? (Chronologie)
▶︎ 1966 – Création de la Caisse d’Aide à l’Équipement des Collectivités Locales (CAECL) [1] : un fonds d’investissement public géré par la Caisse des Dépôts [2].
▶︎ 1986 – Les taux que pratiquait la CAECL étaient fixes, mais pouvaient parfois être très élevés [3].
▶︎ 1987 – Edouard Balladur [4] et son équipe, fraîchement arrivés au ministère de l’Économie, proposent une « solution » à ce problème de performance. Pour eux, la CAECL n’est pas assez souple. Privatiser la structure va permettre de faire fi de ses lourdeurs [5]. Notamment, en passant d’un taux fixe à un taux variable, on devait pouvoir profiter de baisse de taux.
En effet, un taux variable pourra être plus bas par moments, mais il devient soumis aux fluctuations du marché. En privatisant la CAECL, Édouard Balladur jouait ainsi en bourse le budget d’investissement des hôpitaux et des collectivités locales : si les taux baissaient, on était bon, et s’ils montaient... ? Mince alors ! Il faut croire que monsieur le ministre n’avait pas pensé à cette éventualité.
Édouard Balladur est alors en poste depuis 5 mois. Le titre officiel de sa fonction est : « Ministre d’État, chargé de l’Économie, des Finances et de la Privatisation ». Il aura surtout retenu le dernier mot.
La CAECL est donc privatisée et devient alors le Crédit Local de France (CLF). C’est-à-dire une banque d’investissement privée faisant appel aux produits et services financiers offerts sur les marchés.
CAECL vs CLF
Crédit Local de France : avec un tel nom, le citoyen peu attentif ne remarquera pas le caractère privé de l’institution. Il y a pourtant bien une différence de nature entre la « Caisse d’Aide à l’Équipement des Collectivités Locales » et le « Crédit Local de France ».
Le CLF connaît un succès international qui sera couronné par une entrée en bourse dans le CAC 40 en 1993 [6] (belle performance ! il faut dire que l’appropriation de l’intégralité du marché public à une entreprise privée a dû aider !). L’État français en possède alors 25,5%, la Caisse des Dépôts 25%, et 49,5% appartiennent à des investisseurs ainsi qu’à des particuliers français et étrangers.
Dans les faits, le CLF est donc détenu au moins à 50,5% par la France. C’est son changement de statut juridique qui est le tournant le plus crucial. En effet, l’État ne dirige plus, il est juste actionnaire. Or n’est-il pas dans la nature d’une entreprise privée d’essayer de survivre (en faisant des bénéfices) plutôt que de s’occuper du bien-être des hôpitaux ?
Tant que l’État était encore détenteur majoritaire, le CLF fleurissait encore pas mal. C’est 10 ans plus tard que la machine à fabriquer de mauvaises choses se mit en route :
▶︎ 1996 – L’alliance entre le Crédit Communal de Belgique et le Crédit Local de France donna naissance à Dexia. Enfin, les dirigeants peuvent mettre en place la stratégie de « modernisation » dont ils avaient toujours rêvé [7].
▶︎ 2008 – Patatra, la fameuse crise des subprimes. L’agence Moody’s, qui fait la pluie et le beau temps, baisse alors la note de Dexia à « C- ». On découvre alors la gestion financière catastrophique du groupe. Plus de 6 milliards de pertes. Il sera néanmoins sauvé par des soutiens d’états [8] :
– 3 milliards de l’État français (via Caisse des Dépôts)
– 3 milliards de l’État et les régions belges
– 376 millions du gouvernement du Luxembourg
Elle est salée, la facture ! Mais peut-être pas encore assez : les collectivités locales et hôpitaux continuent de se financer chez Dexia (en emprunts toxiques).
▶︎ Octobre 2011 – Dexia est à nouveau au bord de la faillite. Un communiqué annonce le prochain démantèlement de la banque [9]. Cette année-là, le groupe afficha une perte de 11,6 milliards.
– Dexia perd 6 milliards en 12 ans.
– On paye leur facture.
– Dexia reperd 11 milliards en 3 ans.
– WTF ?!
▶︎ Février 2013 – Création de la « Société de Financement Local » (SFIL), 100% publique, afin de reprendre l’activité de financement des collectivités locales (qui appartenait à Dexia). Elle a pour mission d’aider les collectivités locales ayant souscrit des « emprunts toxiques ». Elle dispose pour ce faire d’un fonds de 1,5 milliard d’euros. Mais les collectivités locales restent malgré tout dans une situation financière effrayante [10].
▶︎ Décembre 2013 / Avril 2014 – Création de l’article 60 de la loi de finances, qui interdit aux hôpitaux de contester ces emprunts.