La Chine se tourne vers la France pour y pêcher des idées. La révélation qu’un groupe de porte-avions de l’US Navy pourrait être très vulnérable à un sous-marin nucléaire n’a pas fait la une des grands médias… Cependant la presse chinoise de la Défense n’a pas laissé passer grand-chose.
Au début de 2015, un article étrange et inquiétant a émergé brièvement puis a disparu – presque sans laisser de trace. L’article, apparemment rapidement retiré après publication, avait été diffusé par le ministère français de la Défense et concernait les opérations réussies du sous-marin nucléaire français Safir dans un exercice l’opposant au groupement tactique du porte-avions de la Marine américaine, le Theodore Roosevelt. Le contenu quelque peu choquant de l’article – que le sous-marins français avait réussi à couler « la moitié du groupement tactique » au cours de l’exercice – peut expliquer sa suppression rapide sur Internet. Après tout, des frères d’armes proches peuvent démontrer leurs prouesse tactiques et opérationnelles dans un exercice naval, mais ils ne devraient pas s’en glorifier, et surtout pas en public – n’est-ce pas ?
La révélation que le groupement tactique d’un porte-avions de l’US Navy pourrait être si vulnérable à un sous-marin nucléaire n’a pas fait la une des grands médias, et aucune mention n’en a été faite par les nombreux analystes militaires sur ce site, semble-t-il [sauf sur le Saker Francophone, le 13 mars 2015, NdT]. Pourtant, la presse chinoise de la Défense n’a pas laissé passer grand-chose, notamment en ce qui concerne les capacités des groupements tactiques des porte-avions de la Marine américaine. En fait, un numéro spécial de Ordnance Industry Science and Technology (2015, no. 8) a couvert cet événement, annonçant en couverture une interview du professeur d’académie sous-marine chinois Chi Guocang sous le titre : “A Single Nuclear Submarine ’Sinks’ Half of an Aircraft Carrier Battle Group” [« Un seul sous-marin nucléaire “coule” la moitié du groupement tactique d’un porte-avions »].
Le professeur Chi dit clairement qu’« un exercice peut difficilement être comparé à un combat réel » et qu’en outre, il estime que la lutte anti-sous-marine (ASM) de l’US Navy est « très efficace » et que c’est un système composé de multiples couches de défense pour le porte-avions. Pourtant, il conclut dans l’interview que l’article français avait un degré de crédibilité raisonnablement élevé et que ce numéro de Dragon Eye examinera sa logique à cet égard, pour tenter de mieux comprendre les visions chinoises émergentes sur l’utilité de sous-marins nucléaires dans la guerre navale moderne.
Au début de l’entretien, le professeur Chi affirme que les sous-marins sont la nemesis des porte-avions. Il explique qu’au cours de la Seconde Guerre mondiale, pas moins de dix-sept porte-avions ont été coulés par des sous-marins. Avec un autre clin d’œil à la prouesse de l’US Navy, le professeur souligne que huit sur dix-sept l’ont été par des sous-marins américains. Pourtant l’épisode historique qui revient dans l’interview ne date pas de la Seconde Guerre mondiale, mais plutôt de la guerre de Malouines. Ce conflit, bref mais intense, du début des années 1980 semble avoir eu un effet démesuré sur le développement naval chinois, poussant Beijing à se concentrer en particulier et de manière constante sur le développement de missiles de croisière antinavires (ASCM dans leur sigle anglais). Il présente une étude très précise de ce conflit, par exemple en décrivant l’explication probable des défaillances des lance-torpilles de l’Argentine (dans des conditions hydrogéologiques complexes et difficiles). Il insiste sur le fait que dans ce conflit, le sous-marin nucléaire britannique HMS Conqueror a été capable de suivre sa proie, le General Belgrano, pendant cinquante heures sans être détecté, avant de lui infliger le coup de grâce, comme exemple de la prouesse des sous-marins nucléaires modernes. Pourtant, il reconnaît que la Marine argentine ne pouvait pas être comparée aux ASW de l’US Navy, évidemment.
L’intervieweur chinois pose ensuite une question franche : comment se fait-il que la Marine française ait été en mesure de pénétrer le formidable écran américain ASW autour du porte-avions USS Roosevelt, coulant, pour ainsi dire, ce grand bâtiment ainsi que quelques-unes de ses escortes ? Le professeur Chi propose de nombreuses hypothèses au sujet de cette question, mais met un accent particulier sur la faible taille du sous-marin français. Il observe que le sous-marin de la classe Rubis est le plus petit sous-marin nucléaire au monde (2 670 tonnes submergées) et que cela pourrait rendre sa détection plus difficile.