Dans les deux premières parties du présent article, j’ai estimé qu’environ 2,4 millions de personnes ont été tuées à la suite de l’invasion de l’Irak par les États-Unis, tandis qu’environ 1,2 million de personnes ont été tuées en Afghanistan et au Pakistan à la suite de la guerre menée par les États-Unis en Afghanistan. Dans la troisième et dernière partie de ce compte rendu, j’estimerai le nombre de personnes tuées à la suite des interventions de l’armée américaine et de la CIA en Libye, en Syrie, en Somalie et au Yémen.
Parmi les pays que les États-Unis ont attaqués et déstabilisés depuis 2001, seul l’Irak a fait l’objet d’études exhaustives de mortalité « active » qui peuvent révéler des décès par ailleurs non déclarés. Une étude de mortalité « active » est une étude qui interroge « activement » les ménages pour trouver des décès qui n’ont pas été signalés auparavant par des bulletins d’information ou d’autres sources publiées.
Ces études sont souvent menées par des personnes qui travaillent dans le domaine de la santé publique, comme Les Roberts à l’Université Columbia, Gilbert Burnham à Johns Hopkins et Riyadh Lafta à l’Université Mustansiriya de Bagdad, coauteur de l’étude de 2006 du Lancet sur la mortalité due à la guerre en Irak. En présentant leurs études en Irak et leurs résultats, ils ont souligné que leurs équipes d’enquêteurs irakiens étaient indépendantes du gouvernement d’occupation et que c’était un facteur important pour l’objectivité de leurs études et la volonté des Irakiens de parler honnêtement avec eux.
Des études exhaustives sur la mortalité dans d’autres pays déchirés par la guerre (comme l’Angola, la Bosnie, la République démocratique du Congo, le Guatemala, l’Irak, le Kosovo, le Rwanda, le Soudan et l’Ouganda) ont révélé un nombre total de décès de 5 à 20 fois supérieur à celui révélé précédemment par des rapports « passifs » basés sur des bulletins d’actualités, des dossiers d’hôpitaux et/ou des enquêtes sur les droits de l’homme.
En l’absence de telles études complètes en Afghanistan, au Pakistan, en Libye, en Syrie, en Somalie et au Yémen, j’ai évalué les rapports passifs sur les décès dus à la guerre et essayé d’évaluer la proportion de morts réelles que ces rapports passifs sont susceptibles d’avoir compté selon les méthodes qu’ils ont utilisées, sur la base des rapports entre les morts réels et les morts passivement déclarées, trouvés dans d’autres zones de guerre.
J’ai seulement estimé les morts violentes. Aucune de mes estimations n’inclut les décès dus aux effets indirects de ces guerres, tels que la destruction des hôpitaux et des systèmes de santé, la propagation de maladies par ailleurs évitables et les effets de la malnutrition et de la pollution de l’environnement, qui ont également été considérables dans tous ces pays.
Pour l’Irak, mon estimation finale d’environ 2,4 millions de personnes tuées était fondée sur l’acceptation des estimations de l’étude 2006 du Lancet et de l’enquête 2007 de l’Opinion Research Business (ORB), qui étaient conformes les unes aux autres, puis sur l’application du même rapport entre les décès réels et les décès déclarés passivement (11,5:1) entre l’étude du Lancet et de l’Iraq Body Count (IBC) [projet recensant les morts civiles dues à la guerre d’Irak. Il entretient une base de données où figurent toutes les morts rapportées par au moins deux sources journalistiques, NdT] en 2006 et le comptage de l’IBC pour les années depuis 2007.
Pour l’Afghanistan, j’ai estimé qu’environ 875 000 Afghans ont été tués. J’ai expliqué que les rapports annuels sur les victimes civiles de la Mission d’Assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA) sont fondés uniquement sur les enquêtes menées par la Commission indépendante des droits de l’homme en Afghanistan (CAIDP), et qu’ils excluent sciemment un grand nombre de rapports sur les décès de civils pour lesquels la CAIDP n’a pas encore fait d’enquête ou pour lesquels elle n’a pas terminé ses enquêtes. Les rapports de la MANUA ne font pas du tout état de la situation dans de nombreuses régions du pays où les talibans et d’autres forces de résistance afghanes sont actifs, et où se déroulent donc la plupart des frappes aériennes et des raids nocturnes des États-Unis.
J’ai conclu que les rapports de la MANUA sur les décès de civils en Afghanistan semblent aussi inadéquats que l’extrême sous-déclaration constatée à la fin de la guerre civile guatémaltèque, lorsque la Commission de vérification historique parrainée par l’ONU a révélé 20 fois plus de décès que ce qui avait été rapporté auparavant.
Pour le Pakistan, j’ai estimé qu’environ 325 000 personnes avaient été tuées. Ce chiffre est basé sur les estimations publiées des morts au combat et sur l’application d’une moyenne des ratios trouvés lors des guerres précédentes (12,5:1) au nombre de morts civiles signalées par le South Asia Terrorism Portal (SATP) en Inde.
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Le véritable coût humain des guerres américaines
Au total, dans les trois parties de ce rapport, j’ai estimé que les guerres qui ont suivi les attentats du 11 Septembre ont tué environ 6 millions de personnes. Peut-être que le nombre réel n’est que de 5 millions. Ou peut-être que c’est 7 millions. Mais je suis tout à fait certain qu’il s’agit de plusieurs millions.
Il ne s’agit pas seulement de centaines de milliers, comme le croient de nombreuses personnes par ailleurs bien informées, car les compilations de « reportages passifs » ne peuvent jamais représenter plus qu’une fraction du nombre réel de personnes tuées dans les pays qui vivent dans le genre de violence et de chaos que l’agression de notre pays leur a infligé depuis 2001.
Les rapports systématiques de l’Observatoire syrien des droits de l’homme ont certainement permis de saisir une fraction plus importante des décès réels que le petit nombre d’enquêtes terminées qui sont présentées de manière trompeuse comme des estimations de la mortalité par la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan. Mais tous deux ne représentent encore qu’une fraction du nombre total de décès.
Et le nombre réel de personnes tuées n’est certainement pas dans les dizaines de milliers, comme la plupart des gens aux États-Unis et au Royaume-Uni ont été amenés à le croire, selon les sondages d’opinion.
Nous avons besoin de toute urgence d’experts en santé publique pour mener des études exhaustives sur la mortalité dans tous les pays où les États-Unis ont sombré dans la guerre depuis 2001, afin que le monde puisse réagir de façon appropriée à l’ampleur réelle des morts et des destructions causées par ces guerres.
Comme Barbara Lee a prévenu ses collègues avant de voter de manière dissidente en 2001, nous sommes « devenus le mal que nous déplorons ». Mais ces guerres n’ont pas été accompagnées d’effrayants défilés militaires (pas encore) ou de discours sur la conquête du monde. Au lieu de cela, elles ont été politiquement justifiées grâce à une « guerre de l’information » pour diaboliser les ennemis et fabriquer des crises, puis elles ont été menées d’une manière « déguisée, silencieuse, libre de médias », pour cacher leur coût en sang humain au public américain et au monde entier.
Après 16 ans de guerre, environ 6 millions de morts violentes, 6 pays complètement détruits et beaucoup plus déstabilisés, il est urgent que le public américain reconnaisse le véritable coût humain des guerres de notre pays et la façon dont nous avons été manipulés et induits en erreur pour fermer les yeux – avant qu’ils ne continuent encore plus longtemps, détruisent davantage de pays, sapent davantage l’état de droit international et tuent des millions d’autres de nos semblables.