Sous l’Ancien Régime, la « mauvaise foi » désignait le non-respect du dogme de l’Église, la mauvaise compréhension de l’ordre divin. Depuis l’avènement de la Raison et de sa classe sociale, la bourgeoisie, la mauvaise foi signifie désormais le refus de suivre la Raison quand celle-ci vous met en porte à faux et vous montre du doigt.
Le contraire de la mauvaise foi étant la bonne foi, que ce soit celle des Évangiles ou de l’honnête homme, la bonne foi m’impose de constater une certaine déraison quant à la question de l’anticommunautarisme actuellement en vogue.
Depuis les années 70 jusqu’au 21 avril 2002 (pour faire simple), le discours dominant, officiel, nous interdisait de nous plaindre des délinquants nord-africains sous prétexte qu’ils étaient jeunes (argument 68), qu’ils étaient différents (argument communautaro-différentialiste), qu’ils étaient pauvres (argument marxiste) et surtout que leur ressentiment légitime leur venait de l’odieuse colonisation française.
Si le bourgeois de l’ascendance a forcé l’admiration de l’Histoire pour son sens critique (Voltaire, Rousseau…), le bourgeois de la décadence peut se définir par son conformisme. Comme nous l’a amplement démontré Flaubert, il fait là où on lui dit de faire. Ainsi, en réponse à l’insupportable délinquance nord-africaine subie par le beauf depuis qu’il fut chassé des centres-villes, le bourgeois, pourtant responsable de son sort, le traitait invariablement de « facho » comme on le lui avait appris. « On » désignant plus précisément l’intellectuel français souvent issu d’une communauté très en pointe dans le secteur des idées depuis son émancipation des ghettos au dix-neuvième siècle, et plus encore sur le terrain du discours après la défaite nazie.
Or, chose étrange, depuis que le beur de banlieue n’aboie plus « sale Français » mais « sale feuj » pour cause de solidarité « imaginaire » (comme dirait Alain Finkielkraut) avec les petits Palestiniens de l’Intifada, ces mêmes intellectuels français (dont énumérer les patronymes friserait la faute de goût), eux qui nous avaient interdit de nous plaindre, eux qui exigeaient même que nous battions notre coulpe de vilains colons exploiteurs, nous intiment l’ordre, dans autant de médias à la botte, de châtier les vilains beurs, ni jeunes, ni différents, ni pauvres, ni victimes désormais ; seulement machos et antisémites.
Message on ne peut plus clair : dans la République française, être anti-français ce n’est rien, mais être anti-israélien c’est impardonnable… surtout pour des intellectuels français qui ne manquent pas une occasion d’afficher leur soutien à ce champion contemporain du fascisme colonialiste et dont le chef vient d’être démocratiquement réélu haut la main, j’ai nommé l’État d’Israël du coolissime général Sharon !
Une bouc-émissairisation des Maghrébins de France qui s’est encore accrue depuis la chute de Bagdad, qu’on peut aussi comprendre comme la victoire des intérêts américano-israélites et la défaite des non-alignés, défenseurs des petits peuples et de la cause palestinienne…
Entre la seconde Intifada et l’épopée Chirac-Villepin, certains intellectuels non-affidés tels Thierry Ardisson, Patrick Buisson et moi-même, avaient osé relever la tête, mais comme les résistants eussent été sans doute moins nombreux après 43 si les Allemands avaient gagné à Stalingrad, depuis la victoire du cercle de la Bible et du club de l’Armageddon, les candidats à l’héroïsme de la juste cause se font plus discrets, la soumission au puissant lobby et l’appel à la ratonnade atteignant des sommets.
Ainsi, le général BHL, si silencieux durant la campagne d’Irak (comme son coreligionnaire Cohn-Bendit qui préféra laisser son pote Romain Goupil aller finir de se griller en répétant sur Saddam les mêmes âneries indignées qu’il avait lui-même dégoisées sur Milosevic lors de la précédente campagne US au Kosovo), vient-il nous expliquer aujourd’hui, maintenant que le travail est fait, que l’Amérique s’est trompée de cible et, tel Beria, nous assener quinze jours durant sur les six chaînes les conclusions pakistanophobes de son « romanquète » (le nom précieux pour bidonnage), fruit d’un an de travail à Karachi entre deux publi-reportages à Marrakech, un week-end avec Arielle à la Colombe d’Or, un séjour balnéaire aux Seychelles et autres soirées pipoles sponsorisées par quelques joailliers d’Amsterdam (voir Gala, Paris-Match, Oh La ! et Voici).
Un vaste plan de ratonnade mondiale, divisée par zones et par sexes, dans lequel Madame Fitoussi de Elle se voit chargée de sauver les filles réputées « ni putes, ni soumises » pour mieux stigmatiser les garçons ; la rédactrice en chef oubliant d’un coup dix ans de complaisance envers le Franco-Antillais délinquant junkie néo-yéyé Didier Morve-vil (dit Joey Starr), pour ne plus voir dans nos futurs artistes taggeurs-rappeurs de banlieue en d’autres temps encouragés par Jack Lang, que d’ignobles violeurs arabo-musulmans profanateurs de lieux de culte.
Tous ces jeunes mâles franco-maghrébins d’origine arabo-musulmane pouvant en effet, s’ils réchappent au piège du rap et du biz, comme à la colère d’un peuple qu’on excite à dessein, constituer demain la communauté des citoyens français la plus hostile à la mainmise de la communauté qui lui fait face ici comme en Palestine, et qui, telle le roi Hérode, essaie aujourd’hui de tuer la rébellion dans l’œuf.
Pour m’opposer à la mauvaise foi comme le doit tout honnête homme, je profite donc de la tribune qui m’est offerte sur ce support minoritaire pour rappeler quelques faits têtus :
Contrairement à ce que s’efforce de faire croire le magazine Elle aux ménagères, le foulard à l’école c’est entre 100 et 150 cas en France l’année dernière contre mille il y a dix ans. Un problème statistiquement marginal qui touche au demeurant des filles bien scolarisées et souvent en rupture avec leur environnement. Un environnement dévasté qui ne leur propose pas – contrairement à ce que feint de croire le champion du formalisme républicain Max Gallo (formalisme dénoncé en son temps par Georges Darien dans La Belle France et qui explique le parcours consternant d’un Jean-Pierre Chevênement aux dernières présidentielles) – qui ne leur propose pas, dis-je, l’alternative : « musulmane intégriste » ou « citoyenne » style Louise Michel, mais l’insoumission identitaire du foulard contre la pétasse à nombril percingué Britney Spears, en attendant de faire lofteuse ou actrice de hard.
Quant à Daniel Pearl, cet agent américain fut logiquement tué par des services secrets pakistanais qui savent, aussi bien que les nôtres (se rappeler l’assassinat du général Audran par Action directe) instrumentaliser des terroristes pour leur faire exécuter des tâches délicates ; comme l’aurait été à coup sûr BHL s’il avait mis deux pieds à Karachi.
Comme disait le maître es-manipulation Joseph Goebbels : « Plus c’est gros plus ça marche », et c’est sans doute pourquoi Bernard-Henri Lévy – dont le pouvoir est exactement inverse à l’autorité – ne se cache même plus, lorsque auto-invité à une soirée thématique Arte sur la question pakistanaise, il s’exprime carrément en duplex de Tel Aviv !
Pour en revenir au conformisme bourgeois, prétexte à cette diatribe, n’y aura-t-il bientôt plus en France que Brigitte Bardot pour oser s’offusquer que certains malins envoient des immigrés transformer les églises, symbole de notre histoire chrétienne, en lieux d’aisance ? Ces mêmes malins qui, n’en doutons pas, n’hésiteront pas demain à retourner l’opinion agacée contre les sans-papiers, si d’aventure l’idée leur vient d’aller chier dans des synagogues !