Alors que le Bahrein reste une sorte de cocotte-minute chiite prête à exploser, on signale des incidents en Arabie séoudite ce vendredi 27 juillet : la police a tiré sur des manifestants anti-gouvernementaux dans le district de Qatif, dans la partie est du pays où vit une forte minorité chiite ; plusieurs manifestants auraient été blessés, et d’autres arrêtés parmi lesquels Mohammad a-Shakuri, figure de l’opposition au régime des Séoud, et d’ailleurs « sélectionné » par le gouvernement parmi une liste des personnes les plus recherchées du royaume – liste qui compte 23 noms.
Al-Shakuri a lui même été blessé par balles au dos et au coup, et emmené à l’hôpital. Le ministère séoudien de l’Intérieur a indiqué qu’il n’y avait pas eu de morts dans la répression de ces mouvements.
Le wahhabisme inréformable
Pour quoi manifestaient les hommes et les femmes de la région de Qatif ? En premier lieu pour la libération d’un certain nombre de prisonniers politiques dont ils brandissaient les portraits. Le royaume wahhabite, véritable QG régional, avec le Qatar, de la réaction islamo-atlantiste, est agité de façon récurrente et sporadique par un mouvement de protestation recrutant surtout dans la minorité chiite.
Après quelques « hoquets » l’année dernière, en marge et à la suite de la répression séoudienne de la révolte des chiites du Bahrein, la contestation est vraiment repartie en mars dernier, en solidarité d’ailleurs avec les Bahreinis descendus alors en masse dans les rues de ce petit royaume pour réclamer le départ de la dynastie sunnite alliée de la monarchie séoudienne : des petits mouvements ont eu eu lieu tant à l’ouest qu’au nord du pays, et même à Ryad ; dans le même temps, une pétition pour la liberté d’expression avait recueilli près de 20 000 signatures de citoyens séoudiens, ce qui était nouveau sous le soleil séoudien.
Réprimé avec une vigueur qui n’a pas fait les gros titres de la presse française, le mouvement vient donc de connaître un regain ce mois-ci : les manifestations se sont multipliées, notamment après l’arrestation d’un dignitaire religieux chiite accusé « d’incitation à la sédition » par le ministre de l’Intérieur.
Et voici quelques jours, une nouvelle, non confirmée par les autorités locales, annonçait un attentat à la bombe contre le siège des services secrets séoudiens.
Dans un premier temps, le nouveau responsables de ces services, le prince Bandar ben Sultan, grand ami des Bush, avait été annoncé comme tué, mais il semble que seul un de ses collaborateurs ait péri dans l’attentat. Si celui-ci était confirmé, ce serait là aussi une première dans l’histoire politique du royaume le plus immobiliste et verrouillé du monde arabe.
En mars dernier, les autorités avaient cru voir la main de Téhéran dans les manifestations chiites. Certainement, l’ennemi régional n°1 de l’Arabie séoudite et du Qatar – et allié de la Syrie – ne doit pas voir d’un mauvais oeil s’ouvrir un front intérieur chez les champions de l’ingérence et de la déstabilisation en Syrie.
Mais à la base le problème reste politique et démographique : les chiites séoudiens, au nombre d’environ 2 millions, représentent donc au moins 10% de la population séoudienne. Ils se plaignent de ségrégation sociale et de sous-représentation politique dans une autocratie de type féodal se réclamant du courant le moins ouvert du sunnisme. Le wahhabisme ne pouvant s’offrir une politique réformisme du fait de sa « psycho-rigidité » politique et religieuse, la communauté chiite représente bien une « bombe à retardement » pour la dynastie des Séoud. Qui démographiquement est certes dans une situation moins critique que ses amis de la famille al-Khalifa du Bahrein – là les chiite représentent 70% de la population – mais risque néanmoins de se trouver confronté à une radicalisation armée de sa minorité.
Autre danger dont on,ne parle guère, mais qui n’en existe pas moins : la présence de réseaux d’al-Qaïda très virulents et bien implantés dans le Yémen voisin, soit un risque de contamination réel dans une région où des frontières abstraites et tirées au cordeau traversent des déserts.
Certes, le royaume peu compter sur un appareil répressif bien « outillé » et qui a déjà servi contre les Bahreinis au printemps 2011. Certes, la dynastie peut a priori compter sur le soutien – plus réticent, plus gêné qu’auparavant, il est vrai – de son protecteur américain. Mais si une rébellion armée voit malgré tout le jour en Arabie séoudite, la machine peut s’emballer, et l’Histoire s’accélérer.
« Qui a vécu par l’épée périra par l’épée » , est-il dit dans l’Évangile. Et qui a vécu par la subversion de ses voisins arabes risque de souffrir d’une subversion intérieure.