Tinder, Happn, Bumble, Once, Grindr... Créées au début des années 2010, les applications de rencontre ont un temps révolutionné les relations amoureuses. Mais tous ne s’y retrouvent pas. Certains jeunes, écœurés par leur caractère addictif, consumériste, s’en désintéressent.
Aurélien, 32 ans, est ingénieur d’affaires. Après deux longues relations amoureuses, il a testé les principales applications de rencontres sur le marché : Tinder et Happn qui mettent en lien (« matchent ») des profils en fonction de la proximité géographique, Bumble, où les filles doivent envoyer le premier message et Fruitz, où chacun décrit le type de relation recherchée avec un fruit.
Il y a bien rencontré des filles, dont trois qu’il a fréquentées plusieurs mois. Mais aujourd’hui, il n’en peut plus de ce « marché » de l’amour. Il a désinstallé la dernière application, Bumble, il y a un mois. « J’en avais marre de devoir me vendre. À chaque fois, je raconte ma vie, je donne un peu de moi-même, et en cinq minutes je me rends compte qu’il n’y a pas vraiment de feeling. J’ai l’impression de répéter la même chose à chaque fille avec qui je parle, de faire de l’abattage. On peut parler d’un burn-out des applications. »
Frustration face à des algorithmes obsurs
Aurélien est loin d’être un cas isolé. Le phénomène a pris de l’ampleur avec la pandémie de Covid-19. Passés les premiers mois à se réfugier derrière leur écran pour faire des rencontres, de nombreux jeunes se sont sentis frustrés, agacés, par ces applications aux algorithmes obscurs et loin d’être bienveillantes pour trouver l’amour. De plus en plus les désinstallent.
Suzy, 23 ans, a ainsi supprimé Bumble de son smartphone il y a quelques jours, après plus de cinq mois à « swiper » à gauche et à droite, pour choisir des profils. Pour elle, comme pour Aurélien, c’est avant tout le manque d’« alchimie », par écrans interposés, qui a pesé. Depuis plus d’un mois, elle discutait avec un jeune homme par messages. « On s’envoyait des très longs pavés, on se confiait, on commençait à se projeter. » Mais le jour de la rencontre, « grosse désillusion. Il n’y a pas eu de connexion, on n’avait presque rien à se dire », décrit-elle.
« C’est là que je me suis rendu compte que je ne pourrais pas trouver quelqu’un avec une application. »
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Un « effet Covid » indéniable
Pour Aurore Malet-Karas, docteure en neurosciences et sexologue, le désintérêt actuel de certains jeunes pour les applications est dû en grande partie au contexte sanitaire.
« Il y a un vrai ras-le-bol, car il y a eu une sur-utilisation des applications de rencontres ces deux dernières années. »
« Les personnes se sont retrouvées chez elle et les applications ont été très sollicitées. Malheureusement, beaucoup de personnes n’ont pas fait de rencontres et ont donc été déçues. » Plusieurs patientes femmes lui ont rapporté des échanges « plus agressifs » avec les hommes que d’habitude, dans un contexte anxiogène. « Certains passaient leurs nerfs sur les applis, ou alors se mettaient à parler beaucoup beaucoup, en prenant un peu les femmes pour des psys. » Aurore Malet-Karas relativise toutefois cette lassitude, rapportant qu’elle a encore des patients qui « adorent les applis ».
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Un immense déséquilibre hommes-femmes
Au-delà du Covid, certains ex-utilisateurs soulèvent d’autres tendances de fond, bien connues, qui ont fini par les lasser. Aurélien a été « frustré » par l’immense déséquilibre entre les hommes et les femmes sur ces applis, les premiers étant beaucoup plus nombreux.
« Je suis tombée sur des filles très exigeantes. Certaines cherchaient vraiment le mec parfait. Dès qu’il y avait un petit truc qui ne correspondait pas, elles se désintéressaient. »
Dans une enquête publiée en 2019, Le Monde révélait que le taux de succès d’une femme sur un match est en moyenne de 50 % sur Tinder...contre 2 % pour un homme.
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Une machine à sous
L’ingénieur s’est donc intéressé à l’algorithme de Bumble, qu’il juge performant pour « matcher » les profils, mais aussi aujourd’hui « complètement malsain », dans la mesure où celui-ci est programmé pour « créer des frustrations ». Aurélien a fait le test plusieurs fois : « Lorsqu’on s’inscrit, Bumble met en avant votre profil pendant 24h, et comme par hasard, vous avez plein de matchs avec des filles qui vous correspondent. Puis ensuite, plus aucun match. »
Le modèle économique des applications repose en effet sur l’achat, par les hommes, d’options pour « booster » leur profil ou avoir accès à plus de profils féminins.