Le cinéma de fiction peut-il nous éclairer sur la vie réelle, et notamment sur l’actualité récente...et, tout particulièrement, sur les événements en cours au Proche-Orient ? Le septième art peut-il nous fournir quelques pistes de réflexion sur le rôle historique, explicite ou implicite, joué par les uns ou les autres ? Les films renferment-ils des informations indicibles, que seuls les images et les sons peuvent nous révéler ?
Pour tenter de traiter une telle problématique, attardons-nous (sans faire d’amalgames, évidemment) sur l’une des plus importantes figures du cinéma de ces cinquante dernières années.
Il était une fois... Arnon Milchan.
Né à Rehovot en Palestine sous mandat britannique, il fait fructifier l’affaire de son père mort brutalement, propulsant la société d’engrais paternelle en acteur important du secteur chimique.
Fortune faite, c’est dans le cinéma que Milchan se fait plus particulièrement connaître, mais avant d’aller sur ce terrain, voici un bref passage en revue des états de service d’Arnon, hors show-business.
Depuis la seconde moitié des années 2010, il est soupçonné d’avoir versé de nombreux pots de vin à son grand ami Benyamin Netanyahou, notamment pour de petits arrangements avec le fisc israélien, mais aussi pour le projet de fusion de deux chaînes de télévision à son profit [1].
Milchan, c’est aussi une implication au sein des services secrets de l’État hébreu et dans le trafic d’armes au bénéfice de ce même État. Shimon Peres en personne le recrute à partir des années 60, utilisant les réseaux étrangers d’Arnon, et notamment américains, pour faire de lui un sayan [2] chargé de collecter des informations techniques pour le programme nucléaire militaire d’Israël, au sein de l’unité nommée Lakam [3].
Mais pas d’amalgame, tout ceci n’a aucun rapport avec le sens éventuel à donner à ce présent texte...
À la fin des années 70, Milchan se lance dans la production cinématographique, entamant une longue carrière qui le fait passer de la discrétion de l’espionnage à la lumière des projecteurs.
Dès 1978, il produit La Grande Menace (titre original : The Medusa Touch). L’histoire d’un flic intègre joué par Lino Ventura (la virilité pétrie de valeurs et la rectitude ne pouvant être incarnées au cinéma que par le lutteur parmesan), aidé par une psychiatre (jouée par la ravissante Lee Remick) essayant de reconstituer le puzzle du passé d’un dingo interprété par Richard Burton. Au cours de son enquête, le flic comprend que le dingo a la haine du genre humain, à commencer par ses parents. Depuis son enfance, ce psychopathe s’acharne à liquider tout le monde lors d’épisodes de transe sacrificielle guidés par une misanthropie vengeresse. Grâce à ses pouvoirs télékinétiques, il fait s’effondrer la cathédrale de Westminster lors d’une cérémonie en présence de la reine, sabote à distance une mission spatiale et provoque un nouveau Tchernobyl dans une centrale nucléaire britannique. Il projette également un avion de ligne sur un gratte-ciel. Si ce dernier élément scénaristique vous rappelle un événement historique de ces vingt-cinq dernières années, c’est tout à fait normal.
La scène du crash dans la tour :
Mais pas d’amalgame, tout ceci n’a aucun rapport avec le sens éventuel à donner à ce présent texte...
La Grande Menace est l’adaptation d’un roman de l’écrivain britannique Peter Van Greenaway.
Il écrit The Medusa Touch en 1974, et il récidive dans la fiction curieusement prospective avec son roman Take the War to Washington paru l’année suivante. L’histoire, en bref : des vétérans, mécontents que l’armée américaine se désengage progressivement du Vietnam, détournent un porte-avion, lui font remonter le fleuve Hudson, et dégomment tout sur leur passage : la statue de la Liberté, le gratte-ciel de la Pan Am (désormais nommé Metlife Building). Puis ils se rendent à Washington où ils prennent d’assaut la Maison-Blanche. Pour finir, il font crasher un avion sur le Pentagone.
Si ce dernier élément narratif vous rappelle un événement historique de ces vingt-cinq dernières années, y compris un mirage jamais capturé par aucune caméra de surveillance, c’est tout à fait normal.
Mais pas d’amalgame, tout ceci n’a aucun rapport avec le sens éventuel à donner à ce présent texte...
Peter Van Greenaway, un écrivain à succès d’édition, mais dont la biographie fantomatique interroge [4]. Son seul patronyme surprend, associant la particule néerlandaise « Van » au nom « Greenaway », très britannique. Depuis Oliver Cromwell et le lobbying de Manasse ben Israël, une communauté importante s’était installée en Angleterre, en provenance des Pays-Bas. Faut-il y voir une explication à cette extravagance patronymique ?
Plus sérieusement, on sait que Van Greenaway s’est marié en 1949 avec une certaine Ursula A. I. Mond. Après quelques recoupements généalogiques, dont certains, par la branche maternelle, confirment l’ascendance d’Ursula bien qu’elle soit alternativement effacée au profit de son frère jumeau Rupert (et inversement), on comprend qu’elle est la fille de Philip Mond (Schweich-Mond), lui-même fils d’Emile Mond, cousin germain d’Alfred Moritz Mond, 1st Baron Melchett, ardent sioniste et généreux donateur pour la cagnotte de Vladimir Jabotinsky, inspirateur de l’Irgoun, organisation armée d’extrême-droite sioniste créée en 1931, qualifiée de terroriste par les service britanniques de l’époque, et prônant la création du Grand Israël.
Le grand bordel généalogique d’Ursula Mond-Van Greenaway (cliquez pour agrandir l’image) :
Mais pas d’amalgame, tout ceci n’a aucun rapport avec le sens éventuel à donner à ce présent texte...
À partir de La Grande Menace, Milchan s’installe comme acteur incontournable du paysage cinématographique mondial.
Après un Scorsese (La Valse des Pantins), il produit un film sur la pègre juive avec Il était une fois en Amérique, dernier long-métrage de Sergio Leone. Puis le thriller Man on Fire, du franco-israélien Élie Chouraqui, désormais habitué des plateaux télé (notamment ceux détenus par Patrick Drahi : BFM et i24NEWS), et en guerre totale contre Pascal Obispo pour une bête histoire de paternité concernant leur soupe musicale commune, Les Dix Commandements.
Suivent quelques comédies (La Guerre des Rose, Pretty Woman).
Vient enfin JFK d’Oliver Stone, qui, inspiré par l’enquête de Jim Garrison, tente confusément de nous faire avaler la version « inside job » du complot contre John Kennedy, en mouillant de manière brouillonne le FBI, le complexe militaro-industriel et la CIA. Version aujourd’hui qualifiable d’assez faiblarde, et que Laurent Guyenot [5] démonte largement, montrant que ce film, avec quelques livres publiés dans le même esprit, avait servi à masquer les véritables enjeux de l’affaire Kennedy, qui nous rapprochent certainement plus de Tel-Aviv que de Washington.
Mais pas d’amalgame, tout ceci n’a aucun rapport avec le sens éventuel à donner à ce présent texte...
Milchan produit souvent des films mettant en avant le déchaînement d’ultra-violence, de manière ambiguë car avec complaisance, à renfort de circonstances atténuantes, à travers des personnages intelligents et sympathiques.
Dans Chute libre, où Michael Douglas, dans la peau de l’aliéné du monde moderne, pète un plomb pour une formule petit-déjeuner dans un substitut de McDo, puis poursuit sa destinée suicidaire en une cavale punitive, n’oubliant pas au passage de refroidir un néo-nazi qui l’avait pourtant aidé à fuir la police (au cinéma, on est rarement récompensé, quand on est néo-nazi).
Ou dans Tueurs nés, d’Oliver Stone encore, road movie homicide où un couple de marginaux décide de venger sa jeunesse malheureuse et de débrider ses instincts en butant quiconque se trouve sur son chemin. Une sorte de Bonnie and Clyde punk, et, surtout, sans cause sérieuse, comme la rébellion de James Dean dans La Fureur de vivre (Rebel Without a Cause, en version originale), car, contrairement au duo du gang Barrow, il ne sont même pas accros aux hold-up.
Ou encore le très complexe et fascinant Fight Club, que quelques lignes d’un article ne suffiraient pas à décrypter : film funambule entre la réalité et le rêve, qui dresse le portrait d’une autre victime mâle de l’aliénation du monde moderne souhaitant masochistement s’enivrer de sensations vitalistes au sein d’un club secret où les membres s’échangent des gros bourre-pifs qui font roter du sang.
Milchan s’illustre aussi dans quelques bons polars (Heat, L.A. Confidential).
Plus récemment, l’ancien agent des services secrets israéliens et grand ami de Netanyahou produit The Revenant, l’âpre fresque des grands espaces américains, avec Leonardo Di Caprio en trappeur, aux prises avec un grizzli et un gros con de raciste campé par Tom Hardy qui sait facilement jouer les bourrins à sale gueule. Le film offre une scène captivante dans une église en ruine avec la présence furtive d’un agneau noir, moment sémiotiquement stimulant qui inspirera certainement à nos lecteurs d’E&R une minutieuse exégèse.
Avant l’assez antiraciste The Revenant, Milchan finance le très antiraciste Twelve Years a Slave, énième célébration mémorielle de la cause noire, et énième fardeau accusatoire de la question Blanche, où le Blanc, à Hollywood, et comme partout dans ses dominions wokisés du cinoche occidental, est le bourreau, le salaud génocidaire en puissance, en plus d’être un père indigne et un mari violent.
Mais pas d’amalgame, tout ceci n’a aucun rapport avec le sens éventuel à donner à ce présent texte...
Voilà en gros pour la filmographie d’Arnon.
Il manque cependant un film, et pas des moindres : Brazil, sorti en 1985 et réalisé par Terry Gilliam, ex-Monty Python.
Pour ce film, Gilliam puise son inspiration dans de multiples œuvres, allant de Franz Kafka (Le Procès et Le Château, pour ses thématiques du cauchemar bureaucratique et du règne par l’absurdité, comme instrument de l’arbitraire) au cinéma expressionniste allemand (Fritz Lang en tête, avec son Metropolis) en passant par Federico Fellini et son Huit et demi (pour le thème du rêve comme échappatoire à une réalité aliénante). À tout cela s’ajoute l’écrivain américain Ambrose Bierce et sa nouvelle intitulée An Occurrence at Owl Creek Bridge, pour son idée de perméabilité entre réalité et fiction à un moment fatidique. Incidemment, pour l’anecdote, et pour montrer que la France a su jadis se distinguer autrement qu’avec Les Tuche, cette nouvelle est adaptée en 1961 sur grand écran par un français, Robert Enrico, sous le titre La Rivière Hibou, primé d’une Palme d’Or cannoise et d’un Oscar dans la catégorie des courts-métrages, avec les Cévennes pour décors naturels de cette histoire censée se passer pendant la Guerre de Sécession aux U.S..
1984 de George Orwell est aussi une source d’inspiration pour les scénaristes de Brazil. Le film montre une société sous le joug d’une politique oppressive avec pour instrument de sa tyrannie l’emploi d’une surveillance de masse. Il reprend aussi l’idée d’une menace sécuritaire permanente et opportune pour la gouvernance. Le ministère de l’Information où travaille Sam Lowry, imaginé par Gilliam et joué par Jonathan Pryce, rappelle le Ministère de la Vérité où travaille Winston Smith, le personnage créé par Orwell. Tout comme peuvent être vaguement comparés les deux duos d’amoureux dissidents, entre, d’un côté, Winston et Julia, et, de l’autre, Sam et Jill, interprétée par Kim Greist. Quant à Jack Lint, joué par un autre ex-Monty Python, Michael Palin, il pourrait rappeler, de loin, par son côté « faux ami », le fourbe O’Brien.
Tout cela peut donner l’illusion de beaucoup de points communs avec 1984, mais il faut justement insister sur le mot « illusion », car Brazil aseptise le propos d’Orwell de la même manière que JFK d’Oliver Stone émascule toute analyse sérieuse sur l’affaire Kennedy. Gilliam n’approfondit en rien les mécanismes de domination brillamment énoncés par George dans son œuvre maîtresse. Brazil ne dévoile que l’écume des choses, sur le ton de la satire mêlée d’éléments burlesques.
Cependant, un détail du film réclame une observation plus attentive.
Comme évoqué juste avant, Brazil aborde un peu la question de la menace terroriste perpétuelle, avec, à plusieurs reprises dans le film, des attentats commis par (ou mis sur le dos de) l’opposition au pouvoir. Aux alentours de la vingt-deuxième minute, lorsque Sam déjeune avec sa mère et les amies de cette dernière, un élément sonore subtil doit retenir notre attention. Une déflagration vient souffler une partie du restaurant, mettant l’établissement à feu et à sang. À ce moment-là, à l’instar de l’orchestre du Titanic qui continua à jouer pendant que le paquebot coulait, les musiciens de l’orchestre du restaurant sortent de leur stupeur et reprennent instantanément le contrôle sur leurs émotions. La violoncelliste fait un signe à ses partenaires pour démarrer un nouveau morceau. Ainsi, chacun s’exécute, et voilà le résultat :
Brazil, scène du restaurant :
Mais pas d’amalgame, tout ceci n’a aucun rapport avec le sens éventuel à donner à ce présent texte...
Néanmoins, oui, vous avez bien entendu : la musique que joue l’orchestre du restaurant est bien Hava Nagila, cette chanson folklorique, quasiment hissée au rang d’hymne patriotique, dont les paroles ont été écrites pour fêter la victoire britannique sur l’Empire Ottoman en Palestine et honorer son corollaire juridique pro-sioniste, la Déclaration Balfour, autorisant les juifs à y créer un foyer national. La chanson, répétant à plusieurs reprises « réjouissons-nous » en hébreu, s’inspire d’un passage du livre des Psaumes du Tanakh.
Récapitulons : un producteur de cinéma, ancien agent des services secrets israéliens, dont le premier grand film montre une scène où un avion s’encastre dans une tour, et qui, accessoirement, a contribué à noyer le poisson sur l’assassinat de JFK, produit un film montrant une série d’attentats, l’un d’eux étant soudainement sonorisé par une musique à connotation radicalement sioniste.
Mais pas d’amalgame, tout ceci n’a aucun rapport avec le sens éventuel à donner à ce présent texte...
Pourquoi le choix d’une telle musique, d’ailleurs ? Parce que, oui, pas d’amalgame, pas d’amalgame, d’accord, on a compris ! Mais les Français, et, en premier lieu, les lecteurs d’E&R, veulent savoir !
Personne ne pourra croire que cette musique a été choisie par hasard. Pourrait-on se contenter de l’explication selon laquelle la production de Brazil cherchait simplement une musique gaie, entraînante, pour créer un contraste entre l’horreur de la scène et l’ambiance comique générée par une telle musique festive ? Vraiment ? Ils n’avaient que cette musique- là sous la main pour créer leur gag, sur une scène d’attentat ?
Foin d’arguties, comme s’écriait de sa langue subtile le talentueux Philippe Séguin dans son mémorable discours du 5 mai 1992 contre l’Europe de Maastricht ! Car la vraie question se pose comme suit : en définitive, avec ce choix de Hava Nagila, a-t-on affaire à un message kabbalistique un poil sadique de Milchan (dans le style du criminel laissant sa carte de visite sur les lieux de ses méfaits, pensant, sûr de lui-même, qu’il ne serait jamais pris) ? Ou à une pichenette cryptique un peu ironique de Gilliam (peut-être à destination de son producteur, voire à l’attention d’une communauté tout entière) ?
Quoi qu’il en soit, rappelons une nouvelle fois le crédo à suivre : s’il vous plaît, pas d’amalgame.