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Botzaris, l’arrière-cour française des réseaux Ben Ali

Officiellement Centre Culturel Tunisien, le 36 rue Botzaris accueillait une annexe du RCD, le parti du dictateur tunisien Ali Ben Ali. Investi par des réfugiés tunisiens depuis le 31 mai, une masse colossale de documents potentiellement compromettants, (fiches politiques, fichiers de journalistes etc.) ont été trouvés sur place. Depuis, en 24 heures le lieu a été évacué par les forces de l’ordre et placé en extra-territorialité alors qu’un juge d’instruction s’apprêtait à perquisitionner les locaux. Bizarre…

Alors que s’ouvrait le procès Ben Ali, la France découvre, sur son territoire, les arrières boutiques du régime.

Occupé depuis le 31 mai par une centaine de réfugiés tunisiens passés par Lampedusa, l’im-meuble situé au 36 de la rue Botzaris dans le 19è arrondis-sement abritait officiellement le « centre culturel Tunisien », propriété de l’Etat tunisien. En fait, le bâtiment hébergeait jusqu’à la chute du régime Ben Ali la section française du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), le parti de l’ancien président renversé le 14 janvier dernier.

Dès le début du mois de juin, une chaîne de solidarité se constitue sur les réseaux sociaux pour venir en aide aux réfugiés. Sur place, les personnes présentes découvrent une masse d’archives colossale, beaucoup de photos, des relevés de banques, des documents, factures au nom du RCD, une lettre du RCD à Delanoë demandant la possibilité de louer le Palais Omnisports de Paris-Bercy pour un meeting électoral, mais aussi des chèques, des articles, listes de journalistes opposés au régime de Ben Ali, membres du RCD classés par région française et beaucoup de noms de politiques français. « La milice de Ben Ali stockait des fiches sur des politiques français » explique Karim Guellaty, blogueur et militant présent sur place pendant plusieurs jours.

Fondé par Nicolas Beau, auteur de Notre ami Ben Ali, le site Bakchich et « la cartographie de ses réseaux » était également surveillé. Dans un mail daté du 16 octobre 2009, le chef de la « cellule de veille » indique que son équipe « approfondira dans les prochains jours, l’analyse des comportements des membres et animateurs de ce site ».

Un bâtiment interdit d’accès à la justice en 24 heures…

Bref, une véritable base arrière française du parti-Etat Ben Ali à partir duquel il tissait sa toile et surveillait ses réseaux de fidèles et opposants.

Selon Médiapart, les lieux auraient servi à des réunions de la police politique de Ben Ali en France voire de lieu de torture des opposants.

Depuis plusieurs jours, de nombreuses voitures de polices banalisées dont les militants diffusent les plaques d’immatriculation sur twitter sont en planque dans les environs.

Le 15 juin, une partie de ces archives partent dans les mains de l’avocate Soumaya Taboubi qui entend fonder un collectif, une opération « coup de poing » parfaitement préméditée selon certaines sources.

Le 16 juin les réfugiés sont expulsés, la plupart sont relâchés mais sans endroit où dormir. Ils passeront plusieurs nuits dehors, aux abords du Parc des Buttes Chaumont, aucune solution de substitution n’ayant été trouvée. Les réfugiés tenteront de réoccuper les lieux le soir. Un certain nombre d’entre eux campe encore près des Buttes Chaumonts.

Le 17 juin, à 8 heures, on apprend que le 36 rue Botzaris dont le propriétaire est une société répondant au nom de SAHLM Universitaire Franco Tunisienne, devient annexe de l’ambassade de Tunisie et bénéficie du statut de l’extra-territorialité.

Selon Owni, à la suite d’une plainte déposée il y a quelques semaines par les associations Sherpa et Transparence International, un juge d’instruction ouvre une information judiciaire contre X, en visant Ben Ali, pour blanchiment d’argent en bande organisée. D’après nos informations, ce juge d’instruction avait l’intention de venir perquisitionner rue Botzaris dans le cadre de son enquête. Le 17 au soir, il ne peut plus être perquisitionné du fait du placement des lieux en extra-territorialité…

Une bombe politique, économique et financière ?

« Cela voudrait dire que quelqu’un dans les milieux judiciaires a fait fuiter l’info au niveau politique, à l’Etat français ou directement à l’Etat tunisien en disant : dépêchez-vous de me placer ça en extra-territorialité. D’habitude c’est une procédure qui prend un certain temps. Il y a là une aberration judiciaire : les plus hautes autorités de l’Etat tunisien demandent à la préfecture de faire évacuer le lieu, ce qui nous est confirmé par l’Ambassade mais on ne sait pas à quel titre le gouvernement tunisien demande à la France de faire évacuer les locaux puisque le 16 ce n’est pas une annexe de l’ambassade de Tunisie ? » s’interroge Karim Guellaty qui estime l’affaire sérieuse : « Personnellement, je pense que cette histoire d’archives, c’est une bombe politique, économique et financière et qu’aujourd’hui il n’est dans l’intérêt de personne que ces archives sortent et soient exploitées. Je pense notamment aux réseaux Ben Ali qui démontrent à quels points ils sont encore puissants puisqu’en 24 heures, ils arrivent à faire expulser des réfugiés par une intervention des forces de l’ordre, savoir qu’un juge d’instruction s’apprête à perquisitionner et que les locaux deviennent annexe de l’ambassade ».

Entre autres anecdotes curieuses, à la surprise générale, on apprenait hier, que le Ministre de l’intérieur tunisien est en France depuis vendredi sans que l’on sache si cela à un rapport avec ceci.

Aujourd’hui c’est une société privée mandatée par l’ambassade de Tunisie, soit le représentant en France du gouvernement de transition tunisien, qui surveille les locaux.

La police politique de Ben Ali en France

Le 36 rue Botzaris. Un lieu de sinistre réputation, connu des opposants au régime puisque à l’occasion des dix ans de régime benaliste, « 202 personnes avaient signé au 9 avril 1997 en Tunisie un appel demandant l’instauration de la démocratie. Alors que la collecte des signatures continuait, un rassemblement s’organisait, à Paris, symboliquement au 36, rue de Botzaris » rappelle Fabien Abitbol du Menilmontant blog qui en profite pour mettre en ligne un texte d’époque du journaliste et militant zapatiste Fausto Giudice : « Nous sommes rassemblés face au 36 rue Botzaris.

A cette adresse, devant vous, se dresse une forteresse bien protégée par un haut mur et des grilles. Cette forteresse est à l’image du palais de Carthage où trône, retranché, le tyran tunisien, le général Zine El Abidine Ben Ali. Cette forteresse est à l’image du régime tunisien. Dans ces locaux, qui bénéficient d’un statut diplomatique, en tant qu’annexé de l’ambassade de Tunisie située rue Barbet de Jouy, se trouvent officiellement le « centre culturel » de l’ambassade et le Rassemblent des Tunisiens de France (RTF), l’amicale contrôlée par le régime.

Officieusement, c’est le RCD, le parti de Ben Ali, qui siège ici. Et en réalité, cette forteresse est une des bases à partir desquelles le régime tunisien contrôle, réprime et agresse la communauté tunisienne en France. C’est d’ici que sont diffusés les ordres de Ben Ali, c’est ici que se concoctent des agressions, des campagnes d’intimidation et de calomnie contre des réfugiés tunisiens. A notre avis, les activités illégales et louches qui se déroulent au « 36″ sont en contradiction flagrante avec son statut diplomatique. Le « 36″ dépend en effet plutôt du ministère de l’Intérieur tunisien que du ministère des Affaires étrangères. Ce lieu ressemble plus à un des nombreux lieux secrets de détention et de torture disséminés en Tunisie qu’à un « centre culturel ». Voilà pourquoi nous sommes ici aujourd’hui ».

Preuve que tout le monde ne pouvait ignorer l’existence de cette sombre annexe du régime Ben Ali en territoire français.

Les locaux de la rue Botzaris abritaient aussi de nombreuses autres associations, dont le Rassemblement des Etudiants tunisiens à Paris (Retap), un organisme des plus accueillants à première vue chargé d’aider les étudiants venant de Tunisie, couverture pour une officine d’encadrement politique des étudiants tunisiens en France et de surveillance des opposants.

« De nombreux tunisiens en France savaient ce qu’il y avait rue Botzaris. On en entendait parler. Personnellement, j’avais été convoqué plusieurs fois par la police politique du RCD, mais je n’y suis jamais allé. Ils voyaient que j’étais actif dans le milieu étudiant donc ils essayaient d’impressionner et de retourner les gens. Ils étaient bien organisés » confie Karim Guellaty.