En stigmatisant, la veille de Noël, l’instrumentalisation de la religion (qui peut, dit-il, devenir « malade quand l’homme pense devoir prendre lui-même en main la cause de Dieu » ) Benoît XVI visait à l’évidence les fondamentalistes islamistes à l’oeuvre en Syrie (et en Irak, en Égypte, en Tunisie, au Yémen et ailleurs).
En laissant son porte-parole pour les affaires humanitaires, le cardinal Robert Sarah, dire, mardi, que l’Église s’opposait fermement à toute intervention militaire qui rappellerait « ce qui s’est passé en Irak, en Libye, en Côte d’Ivoire », opérations dont le Vatican souhaite qu’elles « ne se répètent plus », le pape lançait clairement une condamnation morale – mais aussi du coup politique – sur les Atlantistes de Washington, Londres et Paris.
Et en plaidant, ce même mardi 25 décembre, à l’occasion de sa traditionnelle bénédiction « à la Ville et au Monde » , pour que « par le dialogue, soit recherchée une solution politique au conflit syrien » , le Saint-Père infligeait un désaveu implicite aux jusqu’au-boutistes de l’opposition syrienne. Car Benoît XVI n’a réclamé le départ de personne en Syrie, juste le dialogue entre hommes de bonne volonté. Ce qui rapproche, ou même assimile la position du chef spirituel des catholiques à celle défendue depuis des mois par Poutine et la Russie.
À sa façon feutrée, disons « apolitique », que certains sur ce site lui reprochent, Benoït XVI, que préoccupe à bon droit la situation des 1 800 000 chrétiens de Syrie, a nettement pris position. Contre le bellicisme des atlantistes. Contre le fanatisme de la plupart des rebelles. Contre l’intransigeance des opposants radicaux entretenus par le Qatar. Au fond, certains anti-impérialistes et amis de la Syrie réelle lui ont un peu rapidement fait le procès que d’autres, pour d’autres raisons, ont fait et font encore à Pie XII sur sa « passivité » pendant la deuxième guerre mondiale. Mais Pie XII, qui ne pouvait provoquer frontalement la colère des nazis, a discrètement mais concrètement aidé les juifs, ou des juifs, en Italie et ailleurs. Aujourd’hui son successeur ne prend pas de front les néoconservateurs d’Occident et les pétro-monarques du Golfe, mais il donne de la voix contre l’extrémisme religieux et l’interventionnisme, dont chacun sait de quel côté ils se trouvent dans le conflit syrien.
Brahimi rencontre l’opposition intérieure et modérée
Nous parlions d’hommes de bonne volonté. L’émissaire de l’ONU Lakhdar Braghimi, qui s’était entretenu avec Bachar al-Assad lundi, a rencontré mardi à Damas des représentants de l’opposition, intérieure, patriotique et modérée, du Comité de Coordination pour le Changement démocratique (CCND). À l’issue, Raja al-Nasser, secrétaire du bureau exécutif du CCCND, s’est félicité que M. Brahimi puisse rencontrer, jusqu’à dimanche, des responsables syriens, et il a dit qu’il y avait « grand espoir que cela aboutisse à des accords ou des avancées positives ». Ce qui est déjà une « avancée positive« , c’est que l’AFP apprenne enfin à ses lecteurs et clients qu’il existe en Syrie une autre opposition que celle logée au Caire, à Ankara ou à Doha. Et explique que le CCND, surtout connu en France par la figure médiatique de Haytham Manaa, regroupe « des partis nationalistes arabes, kurdes, socialistes et marxistes ». Autant de gens « tolérés par le pouvoir syrien » ajoute l’AFP. De quoi perturber 5 minutes le préposé à la désinformation de France 24, d’I-Télé ou de BFMTV qui croyait qu’en Syrie l’opposition se résumait à des barbus djihadistes, et des bobos exilés.
On parle – le Figaro notamment – d’un accord secret ou discret intervenu entre Moscou et Washington sur la constitution d’un gouvernement e transition sous l’autorité nominale de Bachar al-Assad, lequel resterait au pouvoir jusqu’au terme de son mandat en 2014, mais sans pouvoir alors se représenter au suffrage des Syriens. C’est de ce plan que Brahimi aurait entretenu l’intéressé, mais aussi ses interlocuteurs du CCCND. Sur le départ de Bachar en 2014, on objectera que c’est quand même aux Syriens, par référendum ou scrutin présidentiel, d’en décider. Mais on notera que si cette information est vraie, c’est plutôt Washington qui a rejoint Moscou que le contraire. Et que l’Europe, c’est-à-dire, sur ce dossier, essentiellement la France et la Grande Bretagne, se retrouve isolée, en attendant d’être pathétique.
En tout cas les efforts de Brahimi lui ont valu une volée de bois vert de la part de l’opposition made in Qatar, de la « Coalition nationale » aux Frères musulmans en passant par les Comités locaux de coordination, qui naguère organisaient en Syrie les défilés du vendredi contre le gouvernement. Tout ce beau monde s’en tient à son exigence du départ, volontaire ou forcé, du gouvernement syrien, et ne veut donc pas entendre parler de gouvernement de transition, de dialogue, ni donc de paix. Encore une fois, cette attitude, qui n’a rien de nouvelle, risque de devenir embarrassante pour Hollande/Fabius et Camern/Hague, surtout si les Américains lâchent du lest.
Quand Lavrov rit carrément au nez des Occidentaux
À propos d’opposition radicale, le Conseil de Coopération du Golfe, fédération de pétro-souverains autocrates et fondamentalistes s’en est pris non seulement à Bachar al-Assad, qui tarde décidémment à passer la main, mais à son véritable « ennemi public n°1 », l’Iran, qu’ils accusent d’« ingérence » dans leurs affaires internes. En clair, les Golfeux voient la main de Téhéran dans la révolte des chiites du Bahrein conte leur monarque sunnite : mais ce n’est pas la faute des Iraniens si les 70 % de chiites du Bahrein ont le sentiment d’être traités en citoyens de seconde zone par l’oligarchie locale, qui n’a dû son maintien en 2011 qu’à l’intervention militaire des Séoudiens. Le CCG a aussi dénoncé l’occupation iranienne de trois petites îles revendiqués par les Émirats arabes unis. Bref un ton martial qui masque une certaine impuissance : car armer et payer des mercenaires en Syrie est une chose, faire la guerre à l’Iran en est une autre.
Et à propos d’impuissance et de jactance, il nous faut revenir sur l’ironie cinglante – et parlante – de Sergueï Lavrov, samedi dernier. Le chef de la diplomatie russe a lâché, sur le ton de la (fausse) confidence) aux journalistes un nouvelle « petite phrase » sur la Syrie : « Je peux vous dire que personne ne brûle manifestement d’intervenir (en Syrie). On a même l’impression qu’ils (les pays occidentaux) prient le ciel que la Russie et la Chine ne cessent de bloquer une intervention extérieure (…) personne n’étant prêt à agir, du moins pour le moment. »
Pour se moquer aussi ouvertement des gesticulations et poses occidentales, Lavrov doit être vraiment très sûr de lui. En tous cas, on voit quel crédit il faut apporter aux différents sommets des « Amis de la Syrie » organisés à grands frais et grand brouhaha médiatique par la Sainte-Alliance des atlantistes et des islamistes. Du vent, du bruit, produits par des impuissants. Et, si l’on en croit Lavrov, des Tartuffe.