Utoya, Norvège, 16h50, le 22 juillet 2011
Un jeune homme, déguisé en policier, avec une combinaison d’homme-grenouille, approche les jeunes socialistes qui se sont réunis pour leur université d’été sur une île, près d’Oslo. Quelques minutes auparavant, une gigantesque explosion a secoué le centre de la capitale norvégienne, occasionnant des dégâts matériels importants, et plusieurs victimes. Le tout, près du siège du gouvernement. La police de cet État – le plus démocratique du monde – est sur les dents. Jamais une attaque de ce type n’a eu lieu sur le sol national. Il n’y a pas de plan sécuritaire, à part déconseiller aux habitants le centre de la ville.
Sur l’île, on ne parle que de ça. Les portables montrent les premières images « d’après ». Le quartier est dévasté. On se pose des questions. Un obscur mouvement djihadiste revendique ce qui s’avérera être un attentat. Le jeune policier approche, il est descendu d’une camionnette blanche, il est armé d’un fusil d’assaut et d’un pistolet. Ils sont 600, en face de lui, disséminés dans la forêt et sur la plage. Il y aura 68 morts sur l’île, et 8 dans la ville. Les policiers, qui ne pourront secourir les survivants qu’une heure trente plus tard (pas d’hélicoptère en état de voler, seulement des bateaux, et surchargés, ceux des pêcheurs ou des plaisanciers faisant déjà – avant la police – des allers et retours pour sauver les jeunes), arrivent sur une barge, lourdement armés. Le tueur se rend. Tout le monde connaît la suite. 21 ans de prison – pas de peine de mort ni de perpétuité dans le pays le plus riche du monde.
« Nous avons eu plusieurs témoignages identiques faisant état de deux tireurs. Nous travaillons à clarifier la situation depuis hier soir et encore maintenant, nous travaillons dur pour préciser s’ils étaient deux ou non », a déclaré un inspecteur de police à un site norvégien.
Le 13 novembre 2015, au Bataclan, la salle rock parisienne bien connue des amateurs, un groupe américain, les Eagles of death metal, commence son show. Des bruits de pétards retentissent, mais ce sont des balles, et des balles de guerre. 90 morts, des centaines de blessés, joncheront la « fosse » – au nom prédestiné – et les étages. Les équipes de sauvetage entreront dans l’espace sécurisé près de trois heures après le déclenchement des opérations de tuerie, enjamberont des piles de cadavres, avec parfois des vivants ou des survivants dessous.
Un petit détachement de militaires, équipé d’armes de guerre, refusera d’intervenir juste à côté du Bataclan. C’est à 22h48 que la colonne du RAID flanquée de médecins en gilets pare-balles progresse dans la fosse, libérant les survivants. À 23h15, la colonne de la BRI progresse dans les escaliers, vers la salle où les 15 otages sont retenus par les deux tueurs survivants, le premier ayant été abattu sur scène par un commissaire entré au culot et armé d’un simple pistolet. L’assaut sera donné à 0h18, les otages seront exfiltrés, les terroristes abattus (l’un d’eux actionnera son gilet explosif). Sans oublier les 40 victimes des « commandos des terrasses ».
C’est aux alentours de minuit également que la piste d’une série d’attentats ordonnés par Daech prend forme – soit avant la revendication – à la suite des propos tenus aux policiers de la brigade de recherche et d’intervention (BRI) de la préfecture de police de Paris par les terroristes présents au Bataclan, ces derniers évoquant la Syrie et l’Irak. Cette piste sera confirmée vers 6h00 du matin lorsque des vidéos justifiant les attentats, diffusées sur YouTube, feront l’objet d’un signalement sur la plateforme PHAROS.
Aujourd’hui, la France commémore cet attentat. L’enquête a commencé le jour même, et l’on connaît désormais ceux qui ont participé au massacre. À la lecture du rapport parlementaire de 341 pages, on se pose toujours cette lancinante question : pourquoi être intervenu si tard ? Chaque minute se comptait en victimes. Le rapport officiel nous explique que l’antiterrorisme français est mal organisé, que toutes les informations et les équipes ne sont pas coordonnées, centralisées. À chaque attentat, on apprend ainsi qu’il y a des « failles ». Même chose pour Charlie Hebdo : il fallait poursuivre la surveillance des frères Kouachi et de leur comparse Coulibaly. À Nice, on n’aurait pas dû laisser cet énorme camion sur le bord de la promenade des Anglais, qui écrasera 85 personnes le soir du feu d’artifices du 14 juillet 2016. Et cætera, et cætera.
De même, cette dernière aurait dû procéder une évaluation précise des moyens mis en place par les services français en matière de cyber-terrorisme et de cybercriminalité afin de mesurer l’effort qu’il nous reste à accomplir. Nous nous situons loin derrière les États-Unis et Israël par exemple.
Télés et journaux se sont précipités sur les survivants pour recueillir leurs témoignages. À défaut d’enquête, les médias ont délivré de l’émotion. Nous ne nous substituerons pas ici à la « justice » qui, par la voie de ce rapport, a établi les événements, leurs chronologie, et leur vérité. Pourtant, tous ces faits d’armes ont un point commun : ils émanent d’amateurs, non de professionnels, qui parviennent pourtant à monter des opérations de guerre. Des « attentats multi-sites », comme disent les autorités, qui avaient étonnamment prévu le coup.
Depuis l’assassinat du président Kennedy, ceux qui ont lu les rapports, les livres et les témoignages sur le sujet, ont compris au moins une chose : un assassinat de première importance sans commanditaires est extrêmement difficile à monter. On n’a jamais retrouvé les commanditaires de l’assassinat de Kennedy. Si l’on dispose de l’organigramme des tueries du 13 Novembre, on ne sait pas qui a dirigé cette cellule active. Le niveau intellectuel des activistes (c’est Kepel qui le dit dans son livre sur le terrorisme « islamiste » en France) et de leurs soi-disant chefs laisse perplexe : quand on sait que Salah Abdeslam joue à la console en prison, on se doute que le « cerveau » est ailleurs. Mais l’enquête est bouclée. Puisque, selon la version officielle, ou dominante, les tueurs étaient aussi les commanditaires. On a bien eu deux « commanditaires » abattus par des drones en Afrique et en Asie, sur information américaine, mais l’information est invérifiable. On est prié de la croire sur parole.
Ainsi, un an après, tout se referme. Le rapport étant bouclé, il ne reste plus que les témoins, qui eux, s’ouvrent lentement. L’un d’entre eux, au cœur de la prise d’otage dans la salle à l’étage du Bataclan, qui est resté 140 minutes enfermé avec les deux derniers tueurs, donne une vision précise d’une partie des événements.
Il ressort de ce témoignage, d’une durée de 21 minutes, que les terroristes ne savaient pas quoi faire après la tuerie, qu’ils ont pris des otages sans vraiment savoir pourquoi, qu’ils voulaient appeler « les télés » mais que ça n’a pas marché. Ils ignoraient que les télés (i>Télé ou BFM TV) ne sont plus joignables directement par téléphone, pour éviter le harcèlement des téléspectateurs mécontents...
On comprend une chose en creux : que la tuerie principale a eu lieu très tôt, et qu’ensuite, les deux tueurs, ainsi que celui resté sur scène, se sont quasiment arrêtés de tirer. Pourquoi ? Le témoin ne comprend pas non plus pourquoi les deux djihadistes n’ont pas « terminé » le massacre en haut. Ils sont restés à discuter, menaçant les otages de temps en temps et les forces de l’ordre par la fenêtre donnant sur la rue... Un amateurisme sidérant pour une opération de commando multi-sites minutée. Un minutage extrêmement serré pour le « commando des terrasses », d’ailleurs.
La question se pose clairement de savoir si ce sont bien eux qui ont tué les 90 personnes dans le Bataclan. D’après les témoins qui les ont vus de près, oui. Mais alors, pourquoi tant de corps déchiquetés par des « explosions » ou des « actes de torture » selon les interrogatoires de policiers de la BAC par les parlementaires, suite au rapport Fenech (dans le tome 2, qui recèle le compte-rendu des auditions) ? Il n’y a pas eu d’autre explosion que celle du troisième tueur sur scène, et l’explosion finale du dernier terroriste (sans victime parmi les otages) lors de l’assaut des forces de l’ordre. Qui ment ? Le rapport officiel ou les témoins ? Rappel : les corps déchiquetés et/ou torturés ont été retrouvés à l’étage, à part.
Pourquoi les deux tueurs se sont-ils arrêtés, et ont suivi un plan plus qu’erratique pendant deux bonnes heures ensuite ? Pas de plan, pas d’idée, rien. Cela cadre mal avec le sang-froid exigé par une tuerie de masse, celui-là même dont avait fait preuve Anders Breivik. Or le sang appelant le sang, comment réaliser une telle boucherie, s’arrêter soudain, et redevenir normal ? Faut-il tout mettre sur le compte de quelques pastilles de Captagon aux effets qui s’estompent ?
L’ensemble ne tient pas, à part si l’on accepte l’argument de la folie totale, qui est tout sauf militaire. L’impression finale est celle de terroristes capables de deux opérations superposées (dans le temps et l’espace), l’une militaire, professionnelle, planifiée, millimétrée, rapide, et terriblement efficace ; l’autre hasardeuse, chaotique, et inefficace du point de vue du bilan meurtrier, puisque les kamikazes qui se sont fait exploser n’ont causé quasiment aucune victime, que ce soit au Stade de France (un mort toutefois), dans les rues devant les terrasses, ou dans un café.