Samedi 14 novembre, après s’être entretenu avec des parlementaires et des intellectuels français, le président syrien a accordé à Valeurs actuelles un entretien exclusif. Il expose en quoi la politique étrangère de la France, alignée sur celle des États-Unis, l’a menée dans une impasse, y compris dans son combat contre les terroristes de l’État islamique.
Valeurs actuelles : Que diriez-vous des propos tenus par le président François Hollande : « Le président Assad est à l’origine du problème, il ne peut pas faire partie de la solution » ? Considérez-vous qu’il s’agit d’une opinion générale ? Quelle serait votre réponse ?
Bachar al-Assad : Je répondrais tout d’abord par la question suivante : le peuple syrien a-t-il désigné le président Hollande pour être son porte-parole ? Accepteriez-vous, en tant que citoyen français, qu’une remarque pareille vienne d’un homme politique étranger, quel qu’il soit ? Ne serait-ce pas une offense au peuple français ? Nous voyons les choses de manière identique. N’est-ce pas insulter le peuple syrien que de tenir de tels propos ? Cela ne veut-il pas dire qu’il ne reconnaît pas ce peuple ?
La France a, par ailleurs, toujours été fière du patrimoine et des principes de la Révolution française, et peut-être aussi de la démocratie et des droits de l’homme. Or, le premier principe de la démocratie étant le droit des peuples à choisir leur président, c’est une honte qu’il dise, lui qui représente le peuple français, une chose qui va à l’encontre des principes de la République française et du peuple français. De même, il est honteux pour lui de tenter d’insulter un peuple civilisé riche d’une histoire de plusieurs milliers d’années comme le peuple syrien. Telle est ma réponse, mais je pense que cela ne changera rien à la réalité des choses en Syrie, car les faits ne seront pas altérés par de telles déclarations.
Si vous aviez à adresser un message à MM. Hollande et Fabius, notamment à la suite des attentats de vendredi dernier à Paris, serait-ce : « Coupez immédiatement vos relations avec le Qatar et l’Arabie Saoudite » ?
Un tel message comporte plusieurs facettes : sont-ils indépendants pour que je leur adresse un tel message et leur appartient-il d’y répondre favorablement ? À vrai dire, la politique actuelle de la France n’est pas indépendante de celle des États-Unis. Adresser un tel message ne mènerait donc strictement à rien. Néanmoins, s’il m’appartient d’espérer certains changements dans la politique de la France, la première chose qui serait à faire, ce serait de redonner une politique réaliste à la France, une politique indépendante et amie du Moyen-Orient et de la Syrie.
La France devrait aussi prendre ses distances vis-à-vis de la politique américaine de deux poids deux mesures. Ainsi, si MM. Hollande et Fabius veulent soutenir le peuple syrien, comme ils le prétendent, notamment en faveur de la démocratie, ils feraient mieux de soutenir d’abord le peuple saoudien. Si vous avez un problème concernant la démocratie avec l’État syrien, comment pouvez-vous établir de bonnes relations et des liens d’amitié avec les pires États du monde et les plus sous-développés, tels l’Arabie Saoudite et le Qatar ? Une telle contradiction manque de crédibilité. [...]
Voici une question un peu difficile. Il y a eu une conférence à Vienne, samedi, sur la Syrie, mais aussi, à Antalya, en Turquie, le G20, les 15 et 16 novembre. Divers présidents ont dit à plusieurs reprises : « La solution réside dans le départ de Bachar al-Assad. » Êtes-vous prêt, personnellement, à renoncer au pouvoir au cas où ce serait la meilleure solution pour protéger la Syrie ?
C’est une question à double volet. Concernant le premier, à savoir si je ferais tout pour satisfaire une demande étrangère ? Ma réponse est non. Je ne le ferais pas quelle que soit cette demande, peu importe qu’elle soit petite ou grande, importante ou non. Ils n’ont rien à voir avec la décision syrienne. La seule chose qu’ils ont faite jusqu’à présent, c’est de fournir du soutien aux terroristes par divers moyens et en leur procurant un refuge et un soutien direct. Ils sont en train de créer des problèmes et ne font nullement partie de la solution. Quoi qu’ils disent, nous ne répondrons pas, parce qu’ils ne nous intéressent pas, pour être franc.
Quant au second volet de votre question, en ce qui me concerne, en tant que Syrien, je réponds seulement à la volonté de la Syrie. Cela dit, une telle volonté doit bien entendu émaner d’un consensus de la majorité des Syriens. Le seul moyen de savoir ce que les Syriens veulent, c’est à travers les urnes.
Par ailleurs, pour qu’un président vienne au pouvoir ou le quitte, dans tout État qui se respecte, respecte sa civilisation et son peuple, cela doit se faire à travers un processus qui reflète sa Constitution. C’est la Constitution qui emmène un président au pouvoir et c’est la Constitution qui le fait quitter le pouvoir à travers le Parlement, les élections, le référendum et ainsi de suite. C’est le seul moyen pour un président de venir au pouvoir ou de le quitter.
Tous ces entretiens montrent que la seule solution pour la Syrie, mais aussi pour l’Irak et le Liban, c’est la partition. Nous en entendons beaucoup parler, comme vous le savez. De même que l’on parle de sécularité et de sectarisme. On dit beaucoup de choses un peu partout, et vous le savez mieux que nous, en ce qui concerne la Syrie, la région littorale, mais aussi l’Irak et le Liban, qu’en pensez-vous ?
Ils veulent donner l’impression dans les médias occidentaux que le problème dans la région est une guerre civile entre les diverses composantes, religions, ethnies, qui ne veulent pas cohabiter. Ils disent alors « Pourquoi ne divisent-elles pas leur patrie ? Elles pourront alors rester chacune dans leur région. » En fait, le problème est tout autre, car vous pouvez voir maintenant toutes ces composantes mener ensemble une vie normale, dans les régions qui se trouvent sous le contrôle du gouvernement. Par conséquent, si la communauté internationale veut diviser, il faut tracer des lignes très claires entre ces composantes, qu’elles soient ethniques, confessionnelles ou sectaires.
Le cas échéant, si la région en arrive jusque-là, je vous dis qu’il y aura des mini-États qui s’engageront les uns contre les autres dans des guerres qui dureront des siècles. Toute situation de ce genre signifie des guerres permanentes.