Le vent du changement s’est levé partout en Europe, ici comme une brise encore légère, là comme une tornade ébranlant les façades délabrées et mal reblanchies des vieux partis qui se croyaient de grands partis pour l’éternité. Il a soufflé en tempête, ces derniers temps, sur la Grèce où Syriza, surgie de rien, a balayé le PASOK et la Nouvelle, si peu nouvelle, Démocratie, puis sur l’Espagne où, dimanche dernier, deux mouvements dont le plus ancien a neuf ans et le plus jeune trois, Ciudadanos et Podemos, l’un assez semblable au MODEM, l’autre né de la protestation des Indignés, ont tenu en échec le PSOE, si peu socialiste, si peu ouvrier et le Parti populaire, qui ne l’est plus. Il y a dix ans les deux formations qui se succédaient au pouvoir depuis trois décennies regroupaient encore 87% des votants, il y a cinq ans 70%, la semaine passée 50% !
Ce n’est évidemment pas un hasard si ces deux pays qui particulièrement éprouvés par la crise, l’austérité, la paupérisation et où les deux partis jusqu’ici dominants sont profondément gangrenés par l’exercice du pouvoir et la corruption, ont en quelque sorte donné le signal et ouvert la marche. Mais le désir et le besoin de renouveau se font sentir, je le disais, à travers tout le Vieux continent, partout où la prolifération et la professionnalisation d’une classe politique coupée des réalités, l’usure des systèmes, les menaces de tous ordres qui pèsent sur la personnalité, l’identité et l’indépendance nationales ont créé une rupture entre la caste et le peuple, les élites et les masses, ceux qui souffrent, en bas, et ceux qui profitent, en haut. Cette rupture prend des formes différentes suivant l’histoire, la situation et le tempérament de chaque pays : elle se traduit outre-Manche par la percée de nos amis d’UKIP, portés par la réaction d’un peuple qui veut garder la maîtrise de son destin, au-delà des Alpes par le succès public de Cinque Stelle, une bouffonnerie sérieuse qui atteste entre autres choses du peu d’estime dans laquelle le peuple italien tient la politique et les politiciens.
Et en France, direz-vous ? En France ? Eh bien, après les quatre avertissements, les quatre « chocs » successifs et de plus en plus spectaculaires des municipales, des européennes, des départementales et dernièrement des régionales, en vue des deux échéances essentielles, présidentielle et législatives, tout se passe désormais comme si la question n’était plus de savoir, de la gauche cacochyme en voie de dislocation, sinon de disparition, ou de la droite « républicaine » discréditée, voire disqualifiée par ses échecs et ses divisions, laquelle l’emportera et prendra le relais du quinquennat actuel, mais si à la vieille alternance usée jusqu’à la corde a succédé une insupportable alternative entre la continuité du système et l’aventure de l’extrême. Notre équation politique serait-elle réduite à ce point et les Français condamnés à un choix détestable entre ceux dont ils ne veulent plus et ce dont ils ne veulent pas ?
Il faut dire que tout a été fait depuis un quart de siècle pour faire monter le Front. Ostracisé, diabolisé, instrumentalisé, le Front national a été dans une première période agité comme un épouvantail dont la menace suffirait à assurer la pérennité des gens en place. Les manipulateurs victimes de leur propre piège ont tardivement compris qu’en faisant de l’entreprise familiale des Le Pen l’ennemi public numéro un et le seul concurrent officiellement reconnu, ils en faisaient aussi le premier bénéficiaire de leurs erreurs, de leurs fautes, de leur incapacité et de leurs trahisons. Ils lui ont assuré, avec ce statut privilégié, une fabuleuse publicité gratuite. L’UMPS a été le meilleur agent électoral du Front.