Le voilà, le porte-avions Charles de Gaulle arrivé sur place pour renforcer considérablement (quoique de manière provisoire) le dispositif français dans la lutte contre Daech, au sein de la coalition internationale.
Sans même le moindre espoir qu’un tel redoublement d’efforts puisse se traduire par une quelconque influence, ne serait-ce qu’infinitésimale, sur la stratégie et les modes d’action de ladite coalition. Car celle-ci, composée d’une trentaine d’États, marche (ou dans ce cas-ci plutôt : bombarde) au pas dicté par Washington. Ce qui nous amène à deux remarques.
Premièrement, comme l’a rappelé le chef d’état-major des armées, le général Pierre de Villiers, « la coalition est à 90 % américaine. L’état-major de la coalition au Koweït sera composé d’un millier d’Américains alors que nous y serons dix à quinze ». C’est normal, pourrait-on ajouter tout de suite. Déjà que la situation d’aujourd’hui est en grande partie la conséquence directe de la course folle US dans la région, en particulier en Irak. Ce qui n’enlève rien à la question de savoir si, après avoir enflammé le Levant en y appliquant les recettes made in USA, le recours aux mêmes « remèdes » américains serait-il vraiment le meilleur moyen de guérir le malade.
La participation européenne dans cette campagne contre l’organisation État islamique (EI) soulève d’ailleurs quelques sérieux problèmes, à en croire un groupe de chercheurs du ECFR (European Council on Foreign Relations), un institut pourtant tout sauf anti-américain. Ceux-ci observent, à juste titre, que la contribution européenne est, en fin de compte, un (énième) geste d’allégeance envers le grand allié d’outre-Atlantique. Or le moins que l’on puisse dire, faisaient-ils remarquer dès octobre dernier, c’est que cette démarche n’est pas forcément dans l’intérêt des Européens eux-mêmes.
Pour les auteurs du ECFR, « Si l’objectif politique principal est de prévenir le terrorisme sur notre propre sol, alors la participation militaire directe des Européens, même si ce n’est que sous formes de frappes aériennes en Irak, risquent de se révéler contre-productif. » De surcroît, « L’implication excessive des étrangers dans les conflits de la région, y compris la lutte contre l’EI en Syrie et en Irak, ne fera que repousser la nécessité, pour les acteurs régionaux, de faire leurs propres choix, de même que cela les encourage à se référer à nous pour trouver des solutions, puis des boucs émissaires ». À tout le moins, ceci mériterait débat.
Deuxièmement, quoi que l’on puisse penser du bien-fondé (ou pas) de la participation des uns et des autres aux opérations contre Daech, une chose est certaine : personne n’y a voix au chapitre, à part les Américains. C’est ce qui ressort d’ailleurs des conclusions fort éclairantes d’un rapport récent de la Commission de la Défense britannique. Les parlementaires de Sa Majesté y jugent « inacceptable pour le Royaume-Uni de simplement "s’inscrire" à fournir un soutien militaire dans une campagne entièrement développée et contrôlée par un autre partenaire de la coalition, dans ce cas manifestement les États-Unis ».
De surcroît, avec les Américains, ce n’est pas (ce ne sera jamais) une question de volume ou de taille. Le contrôle US total est la règle du jeu immuable. Les braves Britanniques le savent mieux que quiconque, eux qui se félicitent en vain du fait que, pour les actions soi-disant « cinétiques » (i.e. bombardements), les forces de Sa Majesté occupent la deuxième place. Ça n’a jamais compté et ça ne compte toujours pas. Les auditions devant le Parlement ont montré que « l’analyse et la planification des missions sont presque totalement laissées aux États-Unis, et le Royaume-Uni n’agit à présent qu’en appui d’un plan US, sans même tenter de parvenir à une analyse indépendante des détails, des postulats et de la viabilité de celui-ci ».
Et les députés britanniques de préciser : « Cela signifie que l’on est en train de demander aux forces armées et au peuple britanniques de soutenir un plan que le Royaume-Uni n’est pas en mesure d’évaluer de manière indépendante ». S’en suit le sempiternel vœu pieux, selon lequel « l’idéal » serait tout de même de pouvoir sinon influencer, à tout le moins contribuer à l’élaboration des plans. Ou, à défaut, « avoir au moins une idée précise » de ce qu’il y a là-dedans…
Hélas, ce n’est pas demain la veille que Washington changera sa façon de faire. On l’accepte ou on ne l’accepte pas, à chacun des partenaires potentiels d’en décider de son propre chef. Dans tous les cas, l’idée que le Charles-de-Gaulle n’y soit mêlé (sous contrôle opérationnel américain, cela va de soi) qu’en transit, en route vers l’Inde où il va s’entraîner et présenter ses Rafale, est quelque peu réconfortant à cet égard. Pour l’heure, du moins. Et ça laissera du temps pour méditer à la fois sur les impératifs d’indépendance nationale, et sur les résultats des élans d’activisme récents de l’Amérique dans notre voisinage.