La famille est le plus souvent présentée comme la cellule de base de la société algérienne, celle qui assure sa pérennité et son dynamisme. Beaucoup la voient immuable, à l’abri du temps et des changements. Le conservatisme social, la répression policière, l’autoritarisme politique, l’atonie économique cimenteraient le statu quo et interdiraient toute évolution en profondeur de l’institution familiale.
Fatma Oussedik, professeure d’université, sociologue de profession et analyste confirmée, s’inscrit en faux contre cette vision fixiste et décrit avec finesse les ajustements qui s’opèrent en silence dans les familles algériennes après une enquête minutieuse sur le terrain auprès de familles urbaines d’Alger, d’Oran et d’Annaba.
Le père dépouillé de son autorité traditionnelle
L’urbanisation a été spectaculaire, avant comme après l’indépendance en 1962. Quatre ans plus tard, 3,7 millions d’Algériens résidaient en ville. Ils seront près de 17 millions à la génération suivante en 1998 et plus de 30 millions aujourd’hui. L’explosion urbaine a tout changé. La « grande maison » de jadis censée accueillir les parents, les familles de fils mariés et les filles célibataires a été remplacée par le logement, un modèle emprunté à la France d’après-guerre, voire à la Suède, construit sur place par Bouygues, puis par des entreprises chinoises ou turques.
En quelques décennies, le logement « vertical » a disparu au profit du logement « horizontal » qui abrite les deux parents et leurs enfants. Le décor a changé et le mariage arrangé entre les parents des promis a été subtilement corrigé : ils ont toujours en apparence le pouvoir de décision, mais en réalité ils ne font que ratifier le choix des mères. Elles-mêmes négocient avec leurs enfants qui sont à l’origine de leur rencontre et souhaitent en commun s’unir. Le marché du mariage s’est libéré, le marché traditionnel a vécu au moins dans les mégavilles que compte l’Algérie.
Au passage, cette révolution matrimoniale a fait une victime : le père de famille, dépouillé de sa traditionnelle autorité de pater familias, omniprésent et omnipotent. Sa femme est discrètement devenue l’actrice principale, aidée en cela par le recul de l’âge du mariage des filles à la suite des progrès de leur scolarisation. « La fille avait pour seul destin de quitter la cellule familiale […]. Aujourd’hui la probabilité de contracter un mariage à un âge précoce s’est réduite », écrit l’autrice. C’est « la remise en question du rôle, quasi exclusif, de "génitrice" que leur avait assigné la société ».
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Les filles sortent en masse du cocon familial qui n’est plus un horizon indépassable, épousent des garçons qui viennent d’autres régions d’Algérie et ont un taux de fécondité proche des standards européens, autant de ruptures avec un passé récent.
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Ses thèses ne font certainement pas l’unanimité dans son pays, car une grande partie des Algériens défend une vision plus traditionnelle de leur société, au moins en public. Mais ce livre souligne sa distance avec le livre classique de Germaine Tillon Le harem et les cousins publié en 1966, qui décrivait des sociétés méditerranéennes figées où les filles, enfermées, étaient promises à leur cousin germain.
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