Depuis vingt-quatre heures on a beaucoup dit sur Alain Delon. Les déclarations ne cessent de tomber et les rédactions frémissent de chaque nouveau témoignage qui s’ajoute aux centaines d’hommages qui tombent à l’infini sur les téléscripteurs. D’abord ce sont les Français qui se sont réveillés avec la nouvelle dès 8h du matin, puis le monde entier.
Et peut-être même surtout le monde entier qui possède une chance inouïe dont nous avons été dépossédés : celle d’être encore les dupes d’une image d’Épinal, la France des années 60, véritable pays de Cocagne.
La France terriblement élégante, la France qui fourmille d’intellectuels et de révolutionnaires à la vue courte, celle des voitures sans ceintures dans lesquelles on meurt par milliers chaque année, celle des Gauloises, des Gitanes et du petit gris qui saturent les poumons, celle du yéyé, pâle copie américaine mais plein de vitalité... Nous pourrions poursuivre cette liste réjouissante et paradoxale sans fin, la liste d’une époque pleine de contradictions mais où, si tout n’était pas permis, beaucoup de choses étaient encore possibles.
Men ist azoy wie Gott in Frankreich, oui, heureux comme Dieu en France ! Imagine-t-on encore aujourd’hui que le pays était alors dirigé par le Général de Gaulle, et que, traversé par les Trente Glorieuses, le marché de l’emploi battait son plein pendant que les conditions sociales s’amélioraient, petit à petit. La population n’avait subi encore que peu de remplacement, et aucunement extra-européen. Enfin, les mœurs se décorsetaient un peu, un air de liberté se levait (c’était encore raisonnable), la culture française rayonnait à l’international, pendant que Brigitte Bardot et Alain Delon crevaient les écrans du monde entier.
En 1969, face à l’échec du référendum qu’avait souhaité le Général – une des premières révolutions de couleur – Alain Delon lui écrivit une lettre dont nous ne renierions pas un mot :
Mon général,
Depuis toujours et plus encore depuis des ans, j’étais, grâce à vous fier d’être français.
Ce soir, devant l’ingratitude et l’inconscience de plus de la moitié d’un peuple, je ressens avec effroi un sentiment de honte qui me brise le cœur.
Je tenais à vous le dire.
Daignez me croire, mon Général, fidèlement et inconditionnellement vôtre.
Alain Delon
Aujourd’hui, c’est Brigitte Bardot qui écrit une lettre à Alain Delon ; une légende parle d’une autre légende.
Alain en mourant met fin au magnifique chapitre d’une époque révolue dont il fut un monument souverain.
Il a représenté le meilleur du "cinéma prestige" de la France, un ambassadeur de l’élégance, du talent, de la beauté.
Sa disparition creuse un vide abyssal que rien ni personne ne pourra combler.
Je perds un ami, un "alter ego", un complice, nous partagions les mêmes valeurs, les mêmes déceptions, le même amour des animaux et je pense à une phrase d’Alfred de Vigny dans La mort du loup :
A voir ce que l’on fut sur terre et ce qu’on laisse,
Seul le silence est grand ; tout le reste est faiblesse.
— Brigitte Bardot (@brigitte_bardot) August 18, 2024
On pourrait dire beaucoup sur Alain Delon, sa face sombre, ses liens avec la pègre, des meurtres suspects, de la consommation de drogue, un enfant non reconnu, et même peut-être une sexualité cachée.
Mais aujourd’hui, pour notre séquence nostalgie, gardons simplement en mémoire la beauté insolente d’un acteur âgé d’à peine 24 ans (ici dans Plein Soleil, 1960).
Rien ne pourra jamais plus égaler ce charme éclatant car il est non seulement la marque d’une grâce presque miraculeuse mais aussi parce que l’acteur flâne ici dans un monde irréversiblement révolu et que le tout est couché sur une pellicule argentique au grain et à la chaleur incomparables.
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Épitaphe
Tout Alain #Delon est dans ses réponses au fameux questionnaire de Bernard Pivot. Un monstre sacré s'en est allé. pic.twitter.com/OIDlHIu6vf
— Dominique Schelcher (@schelcher) August 18, 2024