L’Égypte et l’Arabie saoudite se sont mis d’accord vendredi pour construire un pont sur la mer Rouge reliant les deux pays. Un projet à visée économique officiellement mais qui cache des enjeux stratégique. Explications.
Un pont reliera bientôt l’Égypte à l’Arabie saoudite. En visite au Caire vendredi 8 avril, le roi Salmane a dévoilé ce projet pharaonique : l’édifice qui enjambera la mer Rouge coûtera plusieurs centaines de millions de dollars au royaume saoudien. « Cette décision historique, qui va relier les continents africain et asiatique, est un saut qualitatif qui va augmenter les échanges commerciaux entre les deux continents à des niveaux sans précédents », a souligné le monarque saoudien, aux côtés du président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, qui, tout sourire, a proposé que le pont porte le nom du roi Salmane.
Le lendemain, les deux pays signaient également une dizaine d’accords économiques, dont l’un porte sur la création d’un fonds d’investissement saoudo-égyptien d’un capital de 16 milliards de dollars (14 milliards d’euros). Une nouvelle illustration des liens qu’entretiennent les deux pays, notamment depuis que le maréchal Sissi a succédé à Mohamed Morsi, président démocratiquement élu, issu des Frères musulmans, destitué par l’armée en 2013. L’Arabie saoudite a notamment apporté des milliards de dollars en aide à une économie égyptienne en lambeaux.
« Sissi a vendu l’Égypte »
Par la même occasion, les autorités égyptiennes ont officiellement reconnu comme saoudiennes les îles de Tiran et Sanafir, situées en mer Rouge à la pointe du Sinaï, administrées jusqu’à présent par Le Caire. Elles devraient servir d’appui pour le pont. Ces deux îles sont loin d’être anodines, comme l’explique Marc Lavergne, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de l’Égypte : « Elles rappellent la guerre des Six-Jours, qui avait été déclenchée en 1967 quand Nasser avait fermé le détroit de Tiran ». Israël les avait occupées jusqu’au traité de paix avec l’Égypte en 1979.
Malgré les tentatives de justification des autorités égyptiennes, arguant que Riyad avait demandé au Caire en 1950 « d’assurer la sécurité des îles », l’affaire crée désormais la polémique dans les médias, mais aussi sur les réseaux sociaux. Nombre d’Égyptiens ont exprimé leur indignation. Pour eux, pas de doute, Sissi a vendu les deux fameuses îles aux Saoudiens, contre un pont.
« Ce n’est pas Sissi qui a vendu l’Égypte, nuance Marc Lavergne. Elle a toujours été dépendante des capitaux saoudiens. Cela ne fait que confirmer une réalité qui existait déjà », observe-t-il, soulignant que le projet de pont sur la mer Rouge fait sens. Il s’étonne même qu’il n’ait pas été mis en œuvre plus tôt.