Le procès d’une génération semble rejaillir avec l’affaire Matzneff. L’écrivain aux penchants pédophiles revendiqués est montré du doigt dans un livre. À travers lui, c’est la mentalité de l’élite post soixante-huitarde qui est remise en cause.
(...)
Gabriel Matzneff, l’arbre qui cache la forêt ?
L’argument de Bernard Pivot sur les « dérives d’une liberté » d’une autre époque trouve une résonance non seulement dans la complaisance dont faisaient preuve les journalistes de l’époque, comme il l’affirme, mais également dans le monde littéraire post-soixante-huitard qui se revendiquait de l’avant-garde.
Ainsi, en 1977, Gabriel Matzneff rédigeait un texte que le Tout-Paris de l’époque a cosigné pour défendre trois hommes (Bernard Dejager, Jean-Claude Gallien et Jean Burckhardt) accusés de pédophilie. La pétition, publiée par Le Monde la veille de leur procès, a réuni 69 signatures prestigieuses parmi lesquelles celle de Louis Aragon, de Roland Barthes, de Simone de Beauvoir, de Jean-Paul Sartre, de Patrice Chéreau, de Gilles Deleuze et son épouse Fanny, d’André Glucksmann, de Jack Lang ou de Bernard Kouchner.
En outre, dans cette polémique engendrée par le livre de Vanessa Springora, Gabriel Matzneff n’est pas seul à se faire rattraper par son passé. Ce scandale entraîne dans son sillage d’autres célébrités de la même génération soupçonnées de pédophilie.
Sur les réseaux sociaux, les écrits de Daniel Cohn-Bendit refont par exemple surface à la lumière de cette polémique. Dans son livre Le Grand bazar (paru en 1975 aux éditions Belfond), l’ex-député européen évoquait son expérience dans une crèche « alternative » de Francfort dans les années 1970. Extraits :
« Il m’était arrivé plusieurs fois que certains gosses ouvrent ma braguette et commencent à me chatouiller. Je réagissais de manière différente selon les circonstances, mais leur désir me posait un problème. Je leur demandais : "Pourquoi ne jouez-vous pas ensemble, pourquoi vous m’avez choisi, moi, et pas les autres gosses ?" Mais s’ils insistaient, je les caressais quand même. »
Le même Cohn-Bendit qui, sur le plateau d’Apostrophes en 1982, expliquait face à l’écrivain Paul Guth que « la sexualité d’un gosse c’est quand même fantastique ». Avant de détailler : « Quand une petite fille de cinq ans commence à vous déshabiller, c’est fantastique ! » Cet extrait régulièrement exhumé sur les réseaux sociaux depuis des années a une nouvelle fois refait son apparition à la faveur de l’affaire Matzneff.
Un autre nom célèbre est également remonté sur les réseaux sociaux ces derniers jours et mis en parallèle avec Matzneff : celui de Roman Polanski. Au moment de la sortie de son film J’accuse, le réalisateur a également fait l’objet d’une vive polémique autour d’accusations de viol et de pédophilie.
Le procès moral d’une époque révolue
L’affaire Matzneff qui choque une grande partie de l’opinion publique française aujourd’hui est-elle en train de prendre la forme d’un procès moral du Tout-Paris post-68 ? L’autocritique de Libération sur son positionnement de l’époque montre que « l’élite » intellectuelle française de 2020 aurait du mal à soutenir ouvertement ou même tolérer ce genre de comportement d’artistes, d’écrivains, de réalisateurs, aussi brillants puissent-ils être, sous prétexte qu’ils ont du talent, et que ce talent prévaudrait sur tout le reste. La vague du mouvement #MeToo, initiée aux États-Unis en 2017, où elle a mis fin à la carrière de certaines personnalités accusés d’abus sexuels, semble bien avoir atteint l’Hexagone.
L’affaire Matzneff démontre aussi que dans la France aujourd’hui, il existe bel et bien des gens qui se lèvent contre ceux qui s’opposent aux comportements déviants de certains artistes au prétexte que ceux-ci seraient supposément talentueux, dénonçant alors « une chasse aux sorcières » ou « un tribunal médiatique ». Mais est-ce bien pour longtemps ?
En tout cas, si à l’époque le président François Mitterrand était plutôt admiratif concernant le talent littéraire de Gabriel Matzneff, trente ans plus tard le gouvernement d’Emmanuel Macron par la voix de ses ministres a été très clair quant à sa position sur la question. « L’aura littéraire n’est pas une garantie d’impunité. J’apporte mon entier soutien à toutes les victimes qui ont le courage de briser le silence », écrit le ministre de la Culture Franck Riester sur son compte Twitter.
En attendant, la justice vient de se saisir, le 3 janvier, en ouvrant une enquête pour viols sur mineur contre Gabriel Matzneff qui pourtant décrit publiquement ses « ébats » pédophiles depuis 1974. Cette initiative judiciaire est intimement liée au tollé déclenché par le récit de Vanessa Springora.
Lire l’intégralité de l’article sur francais.rt.com