Le président américain a laissé entendre que l’Arabie Saoudite pourrait être derrière la disparition de Jamal Kashoggi à Istanbul, et promis des mesures punitives si tel était le cas. Riyad dément avoir donné l’ordre de tuer le journaliste.
L’affaire Khashoggi, du nom de ce journaliste critique envers le pouvoir de Riyad et porté disparu depuis le 2 octobre, après s’être rendu au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul en Turquie, va-t-elle empoisonner les relations américano-saoudiennes ? Le président américain a en tout état de cause fait monter la pression d’un cran le 13 octobre, promettant un « châtiment sévère » à l’Arabie saoudite si elle s’avérait responsable de la disparation du journaliste.
Dans un entretien accordé à la chaîne de télévision CBS, enregistré le 11 octobre et diffusé le 13, le chef d’État s’est montré pessimiste sur le sort du journaliste : « En l’état actuel des choses, il semble que peut-être on ne va plus le revoir, et c’est très triste. [...] Notre premier espoir était qu’il n’ait pas été tué mais peut-être que les choses ne s’annoncent pas bien. » Et le président américain, qui jusqu’à présent avait été très prudent sur cette affaire, reconnaît désormais que l’implication de de Riyad n’est pas exclure. « Pour l’instant, ils démentent [leur implication] et la démentent vigoureusement. Est-ce que ça pourrait être eux ? Oui », a-t-il ainsi déclaré avant de promettre de faire « toute la lumière sur cette affaire » et d’annoncer un éventuel « châtiment sévère ».
Mais quoi qu’il advienne, cette affaire ne remettra pas en cause les accords commerciaux historiques entre l’Arabie saoudite et les États-Unis, portant notamment sur des équipements militaires, selon Donald Trump. « Je pense en fait que nous nous punirions nous-mêmes si nous faisions cela. Il y a d’autres choses qu’on peut faire qui sont très, très puissantes, très fortes », a-t-il lancé, sans toutefois préciser à quoi il faisait allusion. Son secrétaire au Trésor, Steven Mnuchin, a par ailleurs confirmé dans la foulée qu’il se rendrait bien à la deuxième édition du sommet « Future Investment Initiative » du 23 au 25 octobre à Riyad.
Enregistrements de sa montre connectée
Jamal Khashoggi, journaliste critique du prince héritier Mohammed ben Salmane qui collaborait notamment avec le Washington Post, s’était rendu le 2 octobre au consulat saoudien à Istanbul, ayant besoin d’un document nécessaire à son futur mariage. Selon sa fiancée Hatice Cengiz, il devait fêter ses 60 ans ce 13 octobre au bord du Bosphore. Quatre jours plus tard, des responsables turcs cités par les médias ont affirmé qu’il avait été tué dans ce bâtiment.
D’après la police turque, un groupe de 15 Saoudiens est arrivé en avion le 2 octobre à Istanbul. Ils seraient ensuite allés tuer le journaliste, à l’aide notamment d’une scie à os, avant de quitter la Turquie, selon plusieurs médias turcs. Les quotidiens turcs Sözcü et Milliyet rapportent en outre que Jamal Khashoggi portait, lorsqu’il est entré au consulat, une « montre intelligente » Apple connectée à un iPhone qu’il avait laissé à sa fiancée. Des enregistrements audio ont ainsi été transmis au téléphone et sont actuellement examinés par la justice turque. Toutefois, deux versions s’opposent : tandis que Milliyet assure que des cris et une querelle ont été enregistrés, Sözcü avance que seuls des dialogues – pas de cris – sont entendus dans l’enregistrement de « quelques minutes ».
Riyad dément avoir donner l’ordre de tuer
De son côté l’Arabie saoudite a fermement démenti avoir ordonné l’exécution du journaliste, se disant attachée au « respect des règles et des conventions internationales ». « Ce qui a été rapporté au sujet d’ordres de le tuer est un mensonge et une allégation infondée », a ainsi soutenu le ministre saoudien de l’Intérieur Abdel Aziz ben Saoud ben Nayef dans des propos rapportés par l’agence de presse officielle SPA. Il s’agit, selon lui, de « fausses accusations contre l’Arabie saoudite ». Le ministre saoudien pour les Affaires du Golfe, Thamer Sabhan, a de son côté dénoncé sur Twitter une « campagne mensongère, traîtresse et sale » contre l’Arabie saoudite, dont l’origine remonte selon lui à « des décennies ».
Une délégation saoudienne est arrivée le 12 octobre à Ankara pour notamment prendre part aux travaux d’un groupe de travail, dont la création a été annoncée par le porte-parole du président turc Recep Tayyip Erdoğan, sur la disparition du journaliste.
Constituée de 11 personnes, cette délégation a inspecté le consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, d’après la chaîne de télévision turque NTV. Mais Ankara déplore le manque de coopération des Saoudiens et juge que l’enquête piétine. « Nous n’avons pas encore vu de coopération pour que l’enquête se déroule facilement et que toute la lumière soit faite. C’est ce que nous voulons voir », a confié le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu à l’agence de presse nationale Anadolu, lors d’une visite officielle à Londres. Le ministre a enjoint à l’Arabie saoudite de laisser les « procureurs et experts pénétrer dans le consulat » afin de pouvoir mener à bien leurs investigations.
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Dans le Bureau ovale, aux côtés de l’ex-détenu au cœur d’un bras de fer sans précédent entre les deux pays alliés, le président des États-Unis a remercié de manière appuyée son homologue turc Recep Tayyip Erdoğan « pour avoir rendu cela possible ».