Le 25 février 2016 l’ambassadrice américaine auprès des Nations Unies, Mme Samantha Power, a communiqué sur un projet de résolution soumis aux autres membres du Conseil de Sécurité des Nations Unies, issu de longues négociations avec la Chine, qui prévoit des sanctions d’une ampleur sans précédent contre la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), suite à son essai nucléaire du 6 janvier 2016 et au lancement d’un satellite le 7 février 2016. Si les Etats-Unis espèrent une adoption de cette résolution ce week-end, la Russie a annoncé qu’elle l’examinerait en détail, ce qui pourrait en retarder l’adoption - sans toutefois devoir en changer substantiellement le fond, Moscou ayant fermement condamné les récentes initiatives de Pyongyang.
Selon les éléments communiqués par les États-Unis, les éléments du projet de résolution sont les suivants :
une inspection obligatoire de toutes les cargaisons à destination ou en provenance de la Corée du Nord, quel que soit le mode de transport (terrestre, aérien, maritime), ainsi qu’une interdiction pour les navires nord-coréens "soupçonnés de transporter des produits illicites" de faire relâche dans les ports étrangers ; trente-deux navires nord-coréens sont placés sur une liste noire ;
un embargo total sur les armes conventionnelles et sur les équipements à usage dual (civil ou militaire ;
des restrictions, voire des interdictions, d’exportation par la RPD de Corée de certains minerais (sont cités le charbon, le fer, le titane, l’or et les terres rares) ;
une interdiction des livraisons de carburants à la RPD de Corée pour les avions et les fusées ;
la fermeture de succursales bancaires en Corée du Nord et de succursales nord-coréennes à l’étranger, et un doublement du nombre de personnes (17 au total) et d’entités (12) nord-coréennes sanctionnées au plan financier en raison de leur rôle supposé dans les programmes nucléaire et balistique de la RPD de Corée ;
des compléments et précisions sur la liste des produits dits de luxe interdits d’importation par la Corée du Nord.
Enfin, les membres des Nations Unies seront invités à « expulser les diplomates nord-coréens impliqués dans des activités illicites ».
Selon les États-Unis et leurs alliés, il s’agit d’exercer une pression sans précédent contre Pyongyang pour l’inciter à abandonner ses programmes nucléaire militaire et balistique.
L’inflexion de la position chinoise est à relever : Pékin a manifestement choisi de sacrifier tout ou partie de ses intérêts économiques en RPD de Corée (investissements à l’étranger, échanges commerciaux) – certes dans un contexte où son ralentissement économique diminue son besoin en minerais nord-coréens – sur la base de considérations stratégiques (avec l’espoir manifestement d’empêcher le déploiement du dispositif militaire THAAD, que les États-Unis veulent désormais conditionner à l’abandon de son programme nucléaire par la RPD de Corée), mais aussi – et peut-être surtout – du poids de ses échanges économiques avec la Corée du Sud et les États-Unis.
Si certains points méritent d’être précisés – par exemple, le contenu exact des restrictions aux exportations de minerais qui représentent près de la moitié du commerce extérieur de la RPD de Corée (soit 8 à 10 milliards de dollars par an jusqu’en 2015), lui-même déjà amputé de plus de 20 % depuis la fermeture il y a quelques semaines de la zone industrielle de Kaesong – il s’agit de mesures extrêmement sévères, dont on peut estimer, en première analyse, qu’elles pourraient impacter l’économie nord-coréenne de l’ordre de 10 % du PIB, entraînant ainsi une grave crise économique qui affecterait lourdement les populations et risquerait de faire resurgir le spectre des pénuries alimentaires qui ont causé, dans les années 1990, une surmortalité de plusieurs centaines de milliers de personnes. C’est le choix conscient fait par les diplomates américains et leurs alliés (dont la France), quelles que soient leurs dénégations, la main sur le cœur, que les populations civiles seraient soi-disant épargnées.
Par exemple, les restrictions aux livraisons de fioul par voie aérienne entraîneront un déport sur le transport ferroviaire, routier et maritime – lui-même déjà soumis à des pénuries. Il en résultera des difficultés accrues à assurer le ramassage et le transport des produits alimentaires d’une part, et à la navigation des bateaux de pêche en haute mer d’autre part – réduisant gravement l’alimentation des populations en produits de la mer. L’AAFC dénonce les choix opérés sciemment par les gouvernements occidentaux qui conduiront à tuer de nombreux civils innocents, y compris les enfants qui sont parmi les populations les plus fragiles, reproduisant des scénarios déjà connus – comme naguère en Irak.
Au plan international, il est très improbable que la RPD de Corée se plie à la volonté américaine, surtout si les États-Unis n’offrent aucune contrepartie concernant notamment un traité de paix ou le déploiement de leurs forces en Asie de l’Est. Pire, les manœuvres militaires conjointes avec la Corée du Sud qui débuteront début mars devraient être les plus importantes jamais réalisés, accroissant les risques d’escalade et de conflit.
Un chantage visant les populations civiles, qui sont comme toujours les premières victimes des sanctions internationales ? Des risques de conflit local généralisé ? À l’AAFC, nous ne voulons pas du remake de ce mauvais film, et mettrons tout notre poids pour faire prévaloir la voie du dialogue et de la raison, de la paix, des coopérations et du soutien aux populations.