Comme personne ne nous a interrogés sur les Fables de La Fontaine, on va s’interviewer tout seuls, à la Rédaction. En même temps, quand on voit nos questions et nos réponses, on comprend pourquoi on n’a pas été invités.
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Question con numéro 1 : Les Fables, vous en pensez quoi ?
On aime bien les Fables parce que ce sont de délicieux morceaux de vie, de connaissance, et de morale. Vous remarquerez qu’elles ne sont plus enseignées en classe, à la place, on a la merde woke. La morale n’intéresse pas les néolibéraux, ils préfèrent pas, parce qu’en général ils sont corrompus et vicieux et ils enseignent la corruption et le vice.
Question 2 : Revenons sur La Fontaine, voulez-vous ? Est-ce qu’il a plagié Ésope ?
On s’en fout un peu parce que le processus créatif, comme dans la musique, les sciences ou la peinture, c’est une assimilation du passé pour produire du neuf, mais jamais du 100 % neuf, il faut une base ancienne, pour augmenter ou complexifier le niveau.
Question 3 : Quelle est votre fable préférée ?
On s’en souvient vaguement, une histoire de belette qui vient chouraver de la bouffe dans un grenier, elle passe par un petit trou mais, au moment où elle veut ressortir, elle est tellement grosse qu’elle passe pas et se fait pincer, ou un truc dans le genre. On aime bien cette idée du non-retour. Et aussi de faire gaffe à ce qu’on bouffe ou ce qu’on fait car comme dirait Gladiator, ce que tu fais ici résonne dans l’éternité.
N’importe quoi. Question 4 : Y a-t-il aujourd’hui des productions de fables ?
Oui, avec Véran et Attal, on est servis ! On plaisante, ces deux clowns ne font pas dans la grandeur, ça se saurait. Il n’y a plus de fables aujourd’hui car on a l’impression que Jean a tout dit, c’est dur de trouver du nouveau en matière de morale, on pense aussi à La Rochefoucauld, des types comme ça. Sinon Alain, plus près de nous, ou même Nietzsche, qui était bon dans ses shorts, pas les bermudas mais ses petites sentences morales. C’est quand il devient grandiloquent qu’il est chiant. En cela, Friedrich a entretenu la tradition d’Ésope, de Jean, et puis des grands Français du XVIIe. Beaucoup se sont essayés à ce sport, mais c’est hyper pointu.
Question 5 : Et la poésie, dans tout ça ?
Bonne question, pour une fois. La poésie a été assassinée par tous les trous du cul qui pensaient que c’était facile, et qui ont aligné, comme Prévert, trois phrases vides de sens pour donner l’impression de grandeur, du cérémonial de pacotille, oui. Prévert était peut-être un bon scénariste pour le cinéma, mais un mauvais poète, malgré le succès qu’il a connu : il a juste flingué le genre. Après, c’est la cata, le tas de merde dénoncé par Boudard. Certes, c’est pas facile de draguer avec du Lamartine, mais il y a des poètes contemporains qui reviennent à la rime, à la phrase, au scalpel. Houellebecq, à ses débuts, faisait de la bonne poésie urbaine, bien déprimante, bien salingue humainement, puis il a écrit des romans, on connaît la suite. On va sortir un bon doss sur la poésie, ses assassins et ses sauveteurs.
Question 5 : Un dernier mot sur Jean ?
Ben, un putain de maître, si on peut oser l’expression. Les mots vont tellement bien ensemble qu’on se demande s’ils n’ont pas été créés pour ses fables. Tout s’imbrique bien, les pieds, la musicalité, le sens, la distance, l’humour, la vacherie, c’est du très, très haut niveau, huilé de ouf, une perfection narrative et stylistique.
Question 6 : Et Orwell ?
Faut lire 1984, qui parle pas de SOS Racisme mais d’une dystopie, La Ferme des animaux, une charge violentissime contre la libération des bas instincts, et ses autres bouquins. On sait qu’on n’a pas le droit de faire de la pub pour d’autres livres, sinon on est fusillés, mais son Dans la dèche à Paris et à Londres est un mister pisse.
On dit masterpiece, pas mister pisse.
Ta gueule. Donc George & Jean, c’est du high level. On conseille d’ailleurs aux parents en manque d’inspiration, de temps ou d’énergie en fin de journée, de lire à leurs enfants, même grands (ça fera chier les ados, c’est bien) de lire une fable par soir, sérieux ! Au bout d’un an, leurs gosses auront enrichi leur vocabulaire, leur imagination, affuté leur sens politique – c’est du Machiavel pour débutant – et pourront commencer à écrire, car c’est sacrément formateur.
En prose, tu mets un mot après l’autre et tu te casses, tu te prends pour un écrivain. La poésie en rimes, c’est la face nord, un travail éprouvant, doublé d’un plaisir violent (décharge de dopamine) quand tu trouves le mot juste, exactement comme les Mayas, qui montaient leurs pyramides avec d’énormes pierres parfaitement taillées pour se poser sur les autres, sans mortier. Tu pouvais pas mettre une feuille de papier à cigarette entre !
Il n’y avait pas de cigarettes, à l’époque.
?... La bonne poésie, c’est pareil : une recherche de la perfection. On est loin de la littérature de pissotière de gare d’aujourd’hui, avec toutes ces grosses connes qui nous cassent les…
Merci d’éviter les gros mots.
Oh, ta gueule !
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Les Eloïs et les Morlocks – Fable
Prologue
Les beaux il y a longtemps / chassèrent les laids sous terre
Vainqueurs vécurent dessus / vaincus restèrent dessous
Ces peuples ne se touchaient / pour ainsi dire jamais
Fable
C’est l’histoire des Eloïs / beaux et blancs comme des anges
Qui vivaient au-dessus / de créatures étranges
Celles-ci grouillaient sous terre / se traînant comme des loques
Jalouses des dieux vivants / c’était donc les MorlocksLeur vie n’était pas drôle / sans lumière et sans joie
Ils auraient tant aimé / être aussi de grands rois
Mais la place était prise / et les Eloïs riaient
Leurs chants étaient torture / les Morlocks se rongeaientLeur vie étant trop dure / un jour ils dirent assez
Ils surgirent par des trous / empoignèrent des racés
Les ramenèrent sous terre / se mirent à les manger
Soudain chez les Eloïs / la vie devint dangerVoyant des trous partout / les bouchaient par milliers
Mais les rusés Morlocks / attrapaient par les pieds
Les anges qui piétinaient / au-dessus de leur tête
Leur vie devint enfer / il n’y eut plus de fêteÉpilogue
Bien nourris aux Eloïs / les Morlocks prirent confiance
Ouvrant des galeries / faisant entrer lumière
Reprirent leur territoire / et découvrirent la danse
Les Eloïs se cachèrent / on en vit même sous terre
Moralité : Ce que tu fais à l’autre, Dieu te le fera