Une note de Jérôme Fourquet (Directeur du département « Opinion et stratégies d’entreprise », Ifop) et Sylvain Manternach (géographe-cartographe, formé à l’Institut français de géopolitique) en exclusivité pour Atlantico et la fondation Jean-Jaurès.
Vote périphérique contre vote métropolitain
Lors de chaque élection, la situation en Ile-de-France fait l’objet d’une attention particulière.
Forte de ses 7 millions d’électeurs et de son statut de région-capitale, l’Ile-de-France constitue un véritable enjeu. Cela a été encore plus le cas à l’occasion des régionales de 2015 car l’issue du scrutin est apparue particulièrement incertaine et jusqu’au soir du 2nd tour, l’hypothèse d’un basculement à droite comme celle d’un maintien à gauche ont été avancées.
Dans ce contexte, se pencher sur l’analyse du scrutin régional francilien apparaît des plus utiles et ce d’autant plus que cette élection s’est déroulée dans un climat très particulier, marqué par les attentats du 13 novembre ayant ensanglanté le cœur de la région et par une bataille idéologique et des représentations ayant atteint une intensité rarement égalée entre la gauche et la droite. Il convenait donc d’essayer de mesurer quels avaient été les impacts de tels événements sur les comportements électoraux, sachant qu’il n’est pas exclu qu’un tel climat soit de nouveau présent durant la campagne présidentielle de 2017.
Les particularités électorales et sociologiques de l’Ile-de-France confèrent un intérêt supplémentaire à l’analyse de ce scrutin. Ce territoire se caractérise en effet par la très grande diversité de sa population et des disparités socio-économiques très marquées. L’Ile-de-France rassemble à la fois les quartiers hyper-branchés du centre de la capitale mais aussi de vastes étendues rurales et agricoles, des villes comptant plus de 70 % de logements sociaux et des communes très huppées de l’ouest francilien. À ces clivages géographiques, économiques et sociaux s’ajoute une diversité démographique avec un poids significatif des immigrations africaine et maghrébine mais aussi asiatique dans certains quartiers.
À cette hétérogénéité sociologique répond un paysage électoral particulièrement diversifié. Les Républicains et le PS dominent mais, bien que déclinant, le PC conserve une influence non négligeable dans certains territoires quand sur une autre partie de l’espace francilien l’écologie politique est parvenue, plus qu’ailleurs, à prendre racine et à s’implanter. De la même façon, si le FN s’impose à la droite de l’échiquier politique, il doit composer avec l’influence de Debout la France, qui pèse en Ile-de-France davantage que dans le reste du pays.
Plongeons donc sans plus attendre dans le kaléidoscope francilien et explorons ses fractales, qui sont autant de loupes grossissantes pour comprendre comment s’articulent mutations et clivages sociologiques et comportements électoraux aujourd’hui à l’œuvre, avec une intensité plus ou moins forte, partout en France.
L’analyse de la carte électorale au plan national montre que, comme depuis maintenant une dizaine d’années, le vote FN prospère dans les territoires ruraux et péri-urbains alors que son audience est plus limitée dans les principales agglomérations et dans leur immédiate périphérie. Dans la plupart des régions, il semble même que le vote FN obéisse à une loi de la distance par rapport aux grands centres urbains. Le cas le plus emblématique et le plus caricatural est celui de l’Ile-de-France. Le parti frontiste arrive en tête dans quasiment toutes les communes de Seine-et-Marne, mais aussi dans le sud de l’Essonne et en périphérie des Yvelines et du Val d’Oise.
La gauche (principalement le PS) domine dans la majeure partie de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne et dans la moitié est de la capitale mais elle a quasiment disparu (si l’on prend, comme sur cette carte, le critère de la liste arrivée en tête au 1er tour) de la grande couronne. La droite s’en sort mieux avec un ancrage dans les quartiers bourgeois du cœur de la métropole mais également des points d’appui assez nombreux en grande couronne, correspondant à des territoires ruraux ou péri-urbains plutôt préservés : régions de Fontainebleau, de Rambouillet ou de Saint-Germain-en-Laye.