Nous sommes le 1er décembre 1978. Bernard Pivot lance ainsi son émission, Apostrophes, 168e du nom :
« Bonsoir à tous. Cette émission, ce soir, n’a pas été décidée parce que la France s’est émue il y a quelques jours des déclarations fracassantes de Darquier de Pellepoix, non. Si j’ai choisi de faire parler de la Collaboration ce soir c’est simplement parce qu’un certain nombre de livres récents m’y invitaient. Il arrive très souvent que l’actualité des libraires coïncide très très bien avec la grande actualité. Voici donc le 168e numéro d’“Apostrophes”, les intellectuels et la Collaboration. »
Un débat avec des pour et des contre – ça paraît évident mais ça ne l’est plus – qui serait impossible aujourd’hui. Bernard Pivot, en lisant des extraits de livres ou en interrogeant les uns et les autres, ne semble pas ému par les phrases et les réponses, même quand il y a le mot antisémite dedans. Il fait son boulot, sobrement, sans prendre parti, sans grimacer, pousser des cris ou verser des larmes. Nous ne sommes pas chez Ardisson ou Ruquier, qui eux servent la soupe de la propagande.
Et puis, au niveau des invités, on est dans la liberté totale. La preuve, la présence de Lucien Combelle, ancien secrétaire de Gide et Drieu (La Rochelle), qui figure dans la liste des collabos établie par l’historien Henri Amouroux dans son ouvrage emblématique La Grande Histoire des Français sous l’occupation, et qui vient tranquillement parler de son autobiographie Péché d’orgueil. Du jamais revu depuis.
Nous sommes le 3 avril 1987. En 1987, le politiquement correct n’a toujours pas envahi la sphère médiatique et culturelle et n’a pas encore tué le débat. La composition du plateau d’Apostrophes le prouve : alors qu’aujourd’hui le public en plateau ou les autres invités auraient poussé des cris au simple énoncé du nom de Bardèche, là, personne ne moufte. Pivot peut tranquillement lancer les hostilités :
« Avec monsieur Maurice Bardèche, qui a écrit des livres de critique de grande qualité, sur Balzac, sur Stendhal, sur Flaubert, sur Proust. Aujourd’hui c’est un Céline, “Louis-Ferdinand Céline” qui paraît aux éditions La Table ronde, j’ajoute que vous êtes le beau-frère de Robert Brasillach, et tous les deux vous êtes auteurs d’une célèbre “Histoire du cinéma”. Bernard-Henri Lévy, vous êtes philosophe, romancier, pamphlétaire et éditeur, votre nouvel ouvrage s’intitule “Éloge des intellectuels”, il est paru d’abord en pré-publication dans “Globe” et aujourd’hui chez Grasset. »
Voilà pour les deux premiers invités, qui ne sont pas du tout du même bord. Nous ne soulignons pas le courage de Pivot qui a invité Bardèche puisqu’il y a 30 ans, rien n’est vraiment interdit à la télévision. Ce qui a changé ? La qualité de l’image et du son, la décoration des plateaux, le jeu des caméras, tout l’aspect technique s’est grandement amélioré. La télé française est devenue adulte. Mais du côté éditorial, c’est l’effondrement, un véritable effet de ciseaux : on n’invite plus que du BHL, c’est-à-dire de l’auteur de pacotille, de l’imposteur, du faux. Mais ça, tout le monde le sait. On tenait juste à le souligner pour ceux qui penseraient, rétroactivement, que Pivot était un téméraire.
En 2018, pour le même thème de débat – la responsabilité des intellectuels –, un Pivot aurait été obligé, après une série de coups de fil menaçants venus des côtés ou d’en haut, d’inviter toujours BHL – ça c’est la norme, ça fait 30 ans et plus qu’il squatte la télé – mais aussi tous ses amis, ou co-penseurs : Wieviorka, Lebourg, Camus et compagnie. Sur ce sujet riche et contrasté, on n’aurait eu que la voix de gauche prosioniste. Qu’on pense seulement que le secrétaire de Jean Moulin, fut-il de gauche, était à l’époque (les années 40) un fieffé antisémite, et c’était d’ailleurs la norme, il le dit lui-même. Depuis, il a évidemment fait amende honorable, notamment chez Ruquier.
Bref, les choses évoluent, pas forcément dans le bon sens mais une chose est sûre : la liberté d’expression, les paroles différentes ou non conformes ont, elles, complètement disparu de la télévision, comme les dinosaures après la comète il y a 65 millions d’années. Il ne reste plus qu’un infâme brouet indigeste, des « débats » de cloportes entre BHL, Angot et consorts. Les sionistes ont gagné ! Ils on raflé la parole publique, mais la télé mourra avec eux.
Pour ceux qui l’ignorent, l’écrivain Brasillach a été fusillé à la Libération, Bardèche a écrit des livres qui ne vont pas dans le sens du vent du procès de Nuremberg, qui a fondé un nouveau « droit » international que nous subissons encore. Les amateurs de littérature mesureront la différence de niveau entre Bardèche, véritable érudit, et BHL, qui semble avoir un rôle d’agent (non littéraire) plus que d’écrivain ou d’intellectuel.
Bonne lecture... nostalgique !