« Le dessin humoristique c’est l’expression complète de la liberté »
À 6 jours près, Sempé passait la barre de son 90e anniversaire. Il est mort le 11 août 2022, au milieu des siens, à 89 ans, comme tout le monde voudrait partir. En même temps on n’était pas là, c’est jamais agréable de mourir, sauf si on souffre trop. Jacques a quitté une vie bien remplie, de talent et de reconnaissance, le tout bien mérité.
« Toute ma vie – d’enfant – j’ai entendu ma mère faire des reproches à mon père sur le fait qu’il ne trouvait pas de travail autre que le misérable boulot qu’il avait. […] C’était toujours des bagarres, toujours des disputes, toujours des dettes, toujours des déménagements en vitesse. »
On apprend en lisant les papiers en diagonale dans la presse conforme qu’il a été un « enfant naturel, battu et bègue ». Il a fallu beaucoup d’humour pour se sortir de ce merdier originel. Et on va sûrement se cogner un journaliste qui croit encore aux balivernes de Cyrulnik et qui va nous sortir le coup de la résilience.
On dirait un Alexandre Adler maigre, il baragouine pareil. Avec un air de Stéphane Bourgoin, cet escroc expert en serial-killers, qui les aurait tous ou presque interrogés, dans leur cellule ! Décidément, on se demande si la morphopsycho ne va pas devenir une science...
Sempé avait une belle gueule qui a traversé le temps, sans changer son trait ni ses idées, la petitesse de l’homme et la grandeur de ses désirs, un paradoxe qui jaillit dans tous ses dessins. On voulait mettre jaillissait mais on a préféré jaillit parce que les dessins sont toujours là, c’est le principe de l’œuvre. Et on va éviter la FNAC avec les têtes de gondole « Sempé » où les bons gros consommateurs vont s’agglutiner pour découvrir, avec 50 ans de retard, le grand dessinateur.
C’est l’extinction d’un dinosaure des années 60 – la décennie de son succès éclatant – du calibre de De Gaulle, Bardot, Delon, un symbole national qui a réussi à l’étranger. On n’a pas mis Johnny car le chanteur n’a pas réussi ou tenté de réussir à l’étranger.
Le trait fin de Sempé a été repéré par les Américains qui nous l’ont piqué en 78, mais il a fait une partie de sa carrière dans Paris Match, avant de cartonner (ici on peut écrire éventuellement cartooner) dans le New Yorker. On va éviter la nécro version presse écrite, qui a dans ses cartons déjà prévu celle de Depardieu (comment tu fais pour tenir avec cette brioche, Gégé ?), mais pas celle d’Hanouna ou Macron qui sont trop jeunes et qui pètent la forme, surtout Macron.
C'est de la bonne ! #Macron pic.twitter.com/OQmqMzcJsZ
— Soph'Katarzyna (@Sophie24303508) July 6, 2022
On l’a un peu oublié, mais Sempé, c’était l’humour, un humour tendre, mélancolique, sentimental, sans paroles ou presque, face à l’humour Hara-Kiri, plus tapageur. Le chaînon manquant entre ces deux branches, c’est le génie Goscinny.
En 1985 déjà, Sempé, qui s’était réfugié (éditorialement) aux USA, jugeait la presse française trop trouillarde :
« Les journaux ne prennent plus beaucoup de risques maintenant, et tout le monde a trop peur, nous sommes dans une époque où tout le monde a peur, et un dessin humoristique ne peut pas être compris par tout le monde, c’est impossible. »